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15/03/2005
Coupe franche
Un baiser est un tour délicieux conçu par la nature pour couper la parole quand les mots deviennent superflus
(Ingrid Bergman)
Tour sans doute tout autant délicieux que le roulement des hanches de la danseuse, ce légendaire instant où Salomé posa peut-être ses lèvres voluptueuses sur celles encore chaudes de cette tête séparée de tout corps est à la fois apogée et paradigme de tous les baisers du monde. Les mots sont superflus, le souffle éteint, la parole coupée comme le fut - d'un coup de sabre un seul - la tête de Jean-Baptiste.
Etrangement dans nos mythologies habituelles (bien avant même que Freud n'y révèle quelque concept de castration), les femmes qui coupent sont des plus malfaisantes. Tandis que la chaste et fidèle Pénélope file le jour, défile la nuit, tissant sans cesse pour son Ulysse une toile infinie d'amour et de patience, alors que l'Ariane aux beaux cheveux offre à celui qu'elle aime ce lien filé qui le sauve de quelque labyrinthique errance éternelle, la troisième Moire, l'immuable et inévitable Atropos, coupe sans détours aucuns le fil si ténu des vies humaines. Puisque filer, lier peut être acte infini, mais que l'on ne peut jamais recoller parfaitement ce qui a été tranché...
Peur intime du vide, du creux où l'on tombe, de ce noir maléfique d'une discontinuité parce que, lorsqu'il y a eu coupe, nous sommes contraints d'ouvrir toute la boite de Pandore de notre imaginaire, de nos fantasmes brimés et c'est la folie qui peut surgir sans qu'on le veuille de cette projection de raccords. Et même si l'explication usuelle varie, l'on comprend pourquoi le mot névrose serait issu de ce grec "temnein" qui signifie "couper". Car bien entendu, il convient aussi de se rappeler combien, alors que le symbole accorde, rapproche les êtres autour d'une même croyance partagée et faite legs, c'est le diable, le diabolique qui sépare, déchire et coupe. Or Salomé, femme fatale par excellence, n'est toutefois pas celle qui agit et coupe directement: cette tête qu'elle s'approprie, elle l'a demandée et c'est sa requête orale, les mots pourtant si simples qu'elle a prononcés qui sont assassins. Parce que les mots ne sont jamais innocents et que toute parole a ses conséquences et ses répercussions dans nos vies, dans nos chairs, et dans le devenir de ces mille et un "autres" qui nous entourent.
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