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Les voiles de Salomé

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16/01/2020

Salomé's laugh?

C’est essentiellement après l’immense succès de la première de l’opéra de Richard Strauss à New York en 1907 que Salomé devint une facette incontournable du music-hall américain[1]. Importé via l’opéra, le mythe fut repris par toutes les formes de culture populaire de l’époque, et on retrouva Salomé non seulement dansant sur scène mais aussi devenue chanson populaire, roman à l’eau de rose voire western cinématographique muet. Tant et si bien que l’on en vint à nommer « Salomania » cette fascination pour une Salomé faite produit de consommation autant qu’icône médiatique[2]. Et c’est tout d’abord de cette omniprésence, de la tension également entre « high » et « low » cultures, que l’Amérique en vint à rire, elle aussi, de Salomé.

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Selon le musicologue Larry Hamberlin qui propose, dans un fascinant article de 2006 de nombreuses reproductions des partitions musicale de cette époque[3], Salomé offre à la jeune Amérique une manière de mettre en scène avec légèreté de lourdes questions d’identités raciales autant que religieuses. La façon dont Salomé est interprétée avec humour et ironie révèlerait avant tout le rejet du motif religieux initialement présent dans le mythe. Et ce refus serait une caractéristique essentielle du fonctionnement de la société américaine. Pour l’historienne Judith R. Walkowitz qui s’est intéressée davantage au Londres de la même époque, le corps de la danseuse Maud Allan, souvent reproduit dans les média des années 1908-1918, aurait été une manière d’intégrer et de mettre en scène l’hybridité de l’empire britannique[4]. Il s’agirait également, selon Davinia Caddy[5], d’une manière pour les femmes, soudain devenues spectatrices de strip-tease socialement acceptables, d’acquérir un nouveau pouvoir, puisqu’à Londres il était de bon ton de participer à des soirées consacrées à l’imitation de Maud Allan. Et le fait qu’une pièce de l’époque se soit intitulée « Salomé and the Suffragettes » montre la dimension politique alors conférée à la figure de la danseuse.

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Entre ces pôles anglo-saxons qui proposent une lecture essentiellement postcoloniale de l’évolution et de l’adaptation du mythe de Salomé, il est heureux d’interférer la critique ironique d’un Jean Lorrain chroniqueur. Ce dernier fut un fervent admirateur de la décadente figure, si bien que l’on la retrouve présente en sa plus fatale facette dans ses écrits, avec l’aura et le ténébreux éclat qu’elle avait chez Gustave Moreau comme chez Huysmans. Or, au lendemain de la première de la Salomé de Loie Fuller, le 19 mars 1895, Lorrain qui avait auparavant, tout comme Stéphane Mallarmé, loué les jeux de voile et les fantasmagories lumineuses de la célèbre danseuse, revenait, rieur, sur son admiration en remarquant : « La malheureuse acrobate n’est ni un mime ni une danseuse … ». Parfaite chorégraphe des évocations, il semble en effet si l’on s’arrête sur ces images de jeux de tête que la Fuller n’ait pas su incarner Salomé, qu’elle se soit heurté à la corporalité du mythe. Selon Lorrain, ce serait  l’influence anglo-saxonne d’un mythe repris théâtralement qui en serait venue à corrompre la danse de Fuller. Aussi la décrit-il : « lumineuse sans grâce, avec des gestes de boxeur anglais et le physique de M. Oscar Wilde, c’est une Salomé pour yankees ivres[6]. » Les pantomimes de Fuller révèlent un jeu de visage qui correspond parfaitement aux débuts du cinéma muet. Le ridicule vient peut-être de l’obsession de Fuller, jouant les Salomé, pour sa propre tête, alors que l’on imagine combien la présence factice du chef de Jean-Baptiste dans toute mise en scène du mythe pouvait provoquer le rire. Ironiquement, il s’agirait d’ailleurs ici de la théâtralisation d’un entêtement. Surtout, il y a dans ce spectacle de Fuller cet automatisme obstiné dont Bergson a souligné la fonction comique : « Nous avons montré que le personnage comique pèche par obstination d’esprit ou de caractère, par distraction, par automatisme[7]. »  Mais il n’est pas innocent que Lorrain souligne l’origine « yankee » de Fuller dès lors que cette dernière tente d’interpréter le mythe de Salomé si cher aux décadents français.

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Si l’on revient de manière plus générale sur la chronologie et les productions autour de Salomé, l’omniprésence de la figure de la danseuse au tournant du siècle explique qu’elle en devint sans doute lassante et ridicule et, dès 1912, on trouve mention d’une ironique « ligue antisalomique » qui, indirectement, célébrait en modern-style ce mythe qu’elle voulait moquer. D’ailleurs, c’est à la même époque, avec les poèmes légers d’Apollinaire, que disparait quasiment Salomé dont il n’y aura plus grande mention après la première guerre mondiale.

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Figure essentiellement fin de siècle en France et présente avant tout en peinture et littérature, elle a peu à peu acquis une dimension spectaculaire, chorégraphique et musicale et c’est sous cette forme plus physique et moins ténébreuse qu’elle devint à la mode au Royaume Uni ainsi qu’aux Etats-Unis au cours du vingtième siècle.

En 1943, dans la comédie musicale Dubary was a Lady -, Virginia O’Brien célébra ainsi Salomé en « Grandma of them all », marquant non plus son caractère fatal mais bien sa pugnace féminité, et c’est cette force de femme de tête, non nécessairement inscrit dans le mythe où la danseuse n’est parfois qu’une naïve enfant, que l’on retrouve dans toutes les Salomé des Westerns, jusqu’aux années cinquante – tel cet irregardable Salomé where she danced de 1945.

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Le rire que l’on peut aujourd’hui porter sur ce qui nous semble un bien curieux mélange de style n’avait bien entendu à l’origine pas lieu d’être : parce que c’est une Salomé éminemment corporelle qui a été intégrée à la culture américaine, elle est devenue une des figures fantasmatiques du mythe de la conquête de l’Ouest.

Et sur cette ultime affiche, bien loin de l’atelier où posait le modèle de Regnault, entre le péril de quelque mystérieux orient dans le coin droite de l’image, et celui du cowboy à colt dans le coin gauche, la femme fatale, au premier plan, rêveuse et le regard dans le vide, ne danse ni même ne sourit.

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[1]. Rappelons que la pièce d’Oscar Wilde date de 1892, et l’opéra que Richard Strauss, qui s’en inspire, de 1905.

[2]. Nancy L. Pressly, “Salome, la belle dame sans merci” (San Antonio Museum of  Art, May1-June 26, 1983), San Antonio Museum Association, 1983.

[3]. Larry Hamberlin,  “Visions of Salome: The Femme Fatale in American Popular Songs before 1920”, Journal of the American Musicological Society, Vol. 59, No. 3 (Fall 2006), pp. 631-696

[4]. Judith R. Walkowitz, « The ‘’Vision of Salome’’: Cosmopolitanism and Erotic Dancing in Central London. 1908-1918 », The American Historical Review, Vol. 108, No. 2 (apr. 2003), pp. 337-376, p. 355.

[5]. Davinia Caddy, “Variations on the Dance of the Seven Veils”, Cambridge Opera Journal, 17, 1, 2005, pp. 37–58.

[6]. « The unfortunate acrobat is neither a mime nor a dancer: heavy, awkward, sweating and with her makeup gone after ten minutes of little exercises, she plies her veils and her heap of material like a washerwoman running amok with her paddle. [. . .] With the gestures of an English boxer and the physique of Mr Oscar Wilde, this is a Salome for Yankee drunkards » (Jean Lorrain, cité par Davinia Caddy, “Variation on the Dance of the Seven Veils”, Cambridge Opera Journal, 17, 1, 37–58 (2005), p. 42 , citant la traduction de  Richard Bizot in ‘The Turn-of-the-Century Salome Era: High- and Pop-Culture Variations on the Dance of the Seven Veils’, Choreography and Dance, 2 (1992), p.73. Cité également in Guy Ducrey, Corps et graphies : poétique de la danse et de la danseuse (1996), Honoré Champion, p. 526.

[7]. Henri Bergson, Le rire : Essai sur la signification du comique, Paris, PUF, 1978 (1899), p. 141.

06:30 Publié dans Voiles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : salomania

10/06/2013

Enfin...

De la danseuse aux sept voiles, il n'est pas question entre les pages de cet essai - mais vous y retrouverez (entre autres) les heureuses volutes d'un Mallarmé peint par Manet.

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10:56 | Lien permanent | Commentaires (1)

12/02/2013

Salomé serpentine

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Nouvelle lune, voici enfin Salomé en numéro spécial chez les Oscholars :

bonne lecture !

21:37 | Lien permanent | Commentaires (0)

06/10/2012

Salomé chez les Oscholars, 2013

TABLE DES MATIÈRES PROSPECTIVE

Journal Amusant 1er octobre 1904.jpg

Brefs éclats invités

Petra Dierkes-Thrun, Rhonda Garelick, Erik Haskell, Atsuko Ogane, Rosemary Yeoland

Salomé dans les textes

Adriano Duque : « La légende de Salomé dans la Péninsule Ibérique »

Francesca Cavazza : « Analyse du lexique des sens dans quinze ouvrages fin-de-siècle inspirés de Salomé, à l’aide du logiciel Hyperbase »

Myriam Robic : « Genèse et influence des Salomé de T. de Banville : de Henri Heine à Jean Lorrain »

Sharon Larson : « The Dancing Decadent: Salome and Literary Creation at the Fin de Siècle »

Jennifer Spitzer : « Unveiling the Dance of the Seven Veils: Oscar Wilde and the Power of Myth-Making »

Sandra Cheilan : « De la figure mythique à la femme-fiction : Salomé une persona  de la cosmogonie pessoenne »

Interlude

Christophe Cosker : « Salomé ou la Naissance du strip-tease. »

Salomé cinématographique

Joanna Rajkumar : « Le mythe de Salomé au cinéma : du noir et blanc de Charles Bryant (1923) au délire de couleurs de Carmelo Bene (1972) »

Chloé Delaporte : « Rita Hayworth dévoilée : La Salomé cinématographique de William Dieterle »

Yael Hirsch : « Eros & Politics: The Figure of Salome in Liliana Cavani’s “Nightporter” »

Pamela Ellayah : « Traces du mythe de Salomé dans Bram Stoker’s Dracula (1992) de Francis Ford Coppola »

Scènes de Salomé : jeux, théâtre, opéra

Thomas Morisset : « Le mythe de Salomé : approches théâtrales et vidéoludiques du regard »

Emily Lombi : « La valse charmeuse de Salomé, du raffinement à la monstruosité »

Beatriz Gutiérrez : « Salomé une présentation, re-présentation de la transgression »

02:44 | Lien permanent | Commentaires (3)

06/06/2011

Salomé : dévoilements du mythe

Numéro spécial des Oscholars, Automne 2012

Depuis sa brève mention biblique via sa censure moyenâgeuse jusqu'à son omniprésence à l'ère de la décadence, le mythe de Salomé n'a cessé de fasciner. En 1892, la Salomé théâtralement offerte d'Oscar Wilde – prélude à celle de l'Opéra de Richard Strauss – connut de fait un succès mondial, dont les répercussions furent tout autant cinématographiques que chorégraphiques, littéraires et picturales. Ce mythe serait-il donc celui d'un souriant mouvement, de la danse dépassant l'image et devenant langage ? Ou s'agit-il avant tout d'une terrible tragédie du « voir » ? Qu'on la nomme Salomé, Hérodias ou Hérodiade, la danseuse aux sept voiles, en ses multiples persona, époques et manifestations sera au coeur de la réflexion. Pour ce numéro spécial des Oscholars – célèbre revue électronique consacrée à Wilde et à la fin de siècle – nous sollicitons donc des articles originaux (en anglais ou en français) sur tout aspect du mythe de Salomé.

Salome Cinema

Envoyez vos propositions de 300 mots, en anglais ou français, à Virginie Pouzet-Duzer avant le 1er décembre 2011.

Nous vous ferons savoir avant février 2012 si votre proposition a été ou non retenue. La date limite de réception des articles (entre 1500 et 2500 mots) est le 1er mai 2012.

Pour trouver davantage d'informations sur les Oscholars et pour consulter les numéros spéciaux précédents, voir ici 

11:14 | Lien permanent | Commentaires (1)

20/12/2010

Soirs de Décadences

« Jouir, Mourir

Donne moi tes seins, et sois la Salomé d’autres âges, mets tes mains brûlantes sur ma face, et donne moi ton corps, donne-toi toute, éperdument. Que mes doigts puissent se crisper en l’or fluide de tes lourds cheveux et mordre le fluide savoureux de tes lèvres. Sois impure, sois vicieuse, sois courtisane. Que ton geste soit celui que mes névroses exaspérées attendent. Il me faut tes spasmes et tes étreintes pour fouetter mes désirs et pour revivre la joie de chair des autrefois.

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Et mourir par un soir pareil. »

Hector Fleischmann, « Les Soirs de Décadences – I – Salomé », Le Rêve poétique, août 1901. 

20:10 Publié dans Voiles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hector fleischmann, gustave adolphe mossa

13/12/2010

"Salomé triomphante"

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Quand ce carnet virtuel fut commencé vers 2005, en un temps où les blogs littéraires, pailletés de "nouveau", vivaient encore leur belle heure de gloire et qu’obsessionnellement, presque chaque jour, je retissais ce mythe, il y avait encore relativement peu d’images et quasiment pas de vidéos salomesques en ligne. Aussi ne pensais-je pas que l’œuvre d’accumulation serait par trop titanesque. Or, depuis quelques années, si j’ai souvent Salomé à l’esprit, je n’ose plus  guère transformer en notes mes pensées et l’àquoibonisme tend à m’éloigner de cette page. Mais après tout, n’ai-je pas décidé de m’occuper d’un numéro spécial des Oscholars sur le mythe de Salomé en 2011-2012 ? Ne vais-je pas dès janvier parler au MLA de jeunes femmes fatales ? Dès que le nom liquide de Lolita pointe le bout de son nez en hasard objectif, j’ai des envies d’écrits. Et puis tout à l’heure, sur un blog qui joue photographiquement (souvent avec brio) d’une époque qui m’intéresse autant picturalement que textuellement, d'une ère sur laquelle j’ai tant plaisir à travailler, le rouge sang m’a rappelée ici. Alors soit, reprenons.  

04:23 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : toudouze, salomé, fatal virgins

04/09/2009

Judith en Salomé

La célèbre analyse d’Erwin Panofsky (dont on trouvera trace par ici) revient à supposer que la connaissance du peintre, de ses habitudes et de son milieu offre à l’amateur d’art féru de textes bibliques et expert en mythologie un fil directeur. Ou plutôt, il s’agit là d’une structure, d’un docte cadre où serait à même de s’inscrire l’implacable logique d’un détective esthète. Et de fait, la quête du titre du tableau n’est autre qu’une enquête : Judith ou Salomé, il faut savoir trancher.

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Mais ne pourrait-on pas tenter d’éviter l’écueil d’une analyse qui ne serait qu’historiographie ? Conclure en effet que la clef de l’énigme se trouve très objectivement au cœur des us et coutumes de l’artiste et de son école, c’est faire peu de cas de la subjectivité du spectateur et supposer qu’il faille nécessairement accumuler un savoir d’historien de l’art, avant que de pouvoir apprécier esthétiquement la portée d’une œuvre picturale.

Essayons alors d’oublier un instant l’époque et ce que nous savons du peintre pour revenir aux deux figures bibliques de Judith et de Salomé. Comme Panofsky, ce sont essentiellement la tête en son plateau et l’épée qui attirent notre regard. Soulignons l’absence d’ancillaire jeune femme qui aurait pu avoir aidé Judith, tandis que les sombres figures masculines nous donnent à penser que les gardes ont confié leur sabre mortifère à celle qui voulait la tête du Baptiste. Des stigmates poivres et sel dans la barbe (voire des plis douloureux sur le front fatigué), on ne saurait conclure qu’il s’agit d’Holopherne car l’âge de Jean-Baptiste n’est pas non plus certain ; reste que tête, il y a ! Et subjectivement, si l’on conclue ici sur le nom de « Judith » c’est que l’on fait du pourpre éclatant de l’étoffe au premier plan à droite l’esquisse repliée du sac de tissu – dérobé dans la robe – où se dissimulera le fatal trophée. D’ailleurs est suggéré un léger déhanché, un souple pli du bras glissant vers le côté pour que chute, il y ait.

 

16:46 Publié dans Trame | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : judith, salomé, panofsky, hyphologie

14/06/2008

Chorégraphiquement fui...

« Voici définie une parfaite méthode de lecture: remplaçons la danseuse par Mallarmé lui-même, substituons au texte chorégraphique les figures verbales d'un poème, et nous aurons trouvé le moyen le plus commode d'entrer dans son univers tout en restant fidèle à sa leçon. » (Jean-Pierre Richard in L’Univers imaginaire de Mallarmé)

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Un univers mallarméen dans lequel on pourrait entrer si la leçon fidèlement suivie n’était pas, justement, que le seuil sied au spectateur, que le lecteur aussi peut judicieusement y demeurer songeur.

 

Songeons donc un instant, à l’orée de la rampe et du chemin, en cette arrière-scène de bas-côtés…  

 

Mallarmé, de fait, n’est pas la Danseuse, ne saurait donc lui être tout à fait substitué. Accepter ainsi une méthode de lecture où les figures verbales seraient équivalentes aux figures chorégraphiques, où la stylistique des corps pensant égalerait celle de l’esprit se faisant chair, n’est-ce pas en effet céder sans façon au célèbre démon de l’analogie ?   

 

Et d’ailleurs le poète ne joue guère ici à se féminiser d’entrechats. Loin, bien loin de cette « virginité de site étranger, à tout au-delà, pas songé, » il est celui qui se promène en terra cognita, celui qui flâne aussi en « une matinée bientôt d'été, en un jardin » se « remémor[an]t, pour les exclure, les sensations de la saison théâtrale récente. » En d’autres mots, tandis que la Danseuse de la mémoire de Mallarmé habilla le néant virtuel de sa danse, peupla la nudité scénique de sa chorégraphie, il avance quant à lui pas à pas au présent dans la réalité. Là où la danse fut affaire de figures à bâtir et de fleurissements en devenirs, le poète reste celui qui choisit, exclut et puis décide non pas de faire surgir l’ampleur immense du tissu de ses pensées en expansion, mais bien d’élire, en esthète, ses souvenirs. Une seule danse (c’est-à-dire une unique danseuse) trouve grâce ainsi en sa mémoire – affaire de diamants, de virevoltes d’hivers et puis d’étendues vierges – Hérodiade en somme, irrémédiablement inscrite en ses pensées.

 

Au fil de la promenade, les impressions mémorielles éparses de Mallarmé infusent le texte entier et, s’y glissant, la chorégraphie de Loie Fuller tisse aussi quelques métaphores arachnéennes de soie en jeux de voiles et de lumière. Art de l’éphémère papillonnant que celui des tourbillons épanouis de tissus propagés, cette solitaire danse qui tel un inestimable joyau scintillait l’hiver précédent, brille encore, précieuse et rare, sous la plume du poète.    

 

Or, loin de Paris et de la scène, le promeneur va bientôt laisser ce « hâtif soleil naturel » dissiper toute « réminiscences citadines. » Ce qui demeurera alors et qui demeure encore n’est autre que le texte, tandis que la vision silencieuse et muette, cette vision au charme pourtant spirituel s’est déjà effacée, dispersée par la mode. Car la foule « en stupeur, » trouvera de nouveau une « délicieuse éclosion contemporaine, suggestive, spéciale. » De la fulgurance en éclair de ce qui fut la « forme théâtrale de poésie par excellence » momentané seyant aux ailes des papillons comme aux plis d’éventails – il ne reste donc rien, à jamais, de tangible. Mais fixant son vertige, Mallarmé a happé, aussi, des lueurs insaisissables. Vestige alors ou ruines que ce froufrou des phrases, longues et soudain incises, ces vagues fascinantes poursuivies doucement en adverbes qui s’allongent, délicieux décombres inscrits sur le papier de ce qui se nomma, un jour, peut-être, chorégraphie.

10:04 Publié dans Salomé électrique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : mallarmé, fuller, littérature, lecture, écriture, danse

06/06/2008

Salomé électrique II: coruscantes expériences

De la visite qu’elle rendit en 1896 à son ami Thomas Edison, en son laboratoire du New Jersey, Loie Fuller rapporta quelques sels phosphorescents devenus bientôt paillettes scintillantes sur la soie de ses costumes de scène en papillonnements : la Danse phosphorescente était née. 

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Quelques années plus tard, en 1904, à la grande surprise de Fuller, Pierre et Marie Curie refusèrent de lui prêter ce radium indispensable aux ailes de papillon irradiées dont rêvait leur amie, et la Danse du Radium n’eut jamais lieu.


Entre ces deux moment d’éclats, la danseuse se brûla les sourcils dans l’explosion de sa demeure parisienne, l’expérience des sels de sulfure mêlés au calcium et au magnésium n’ayant éclairé au bout du compte que la compagnie qui assurait Fuller, et qui mit fin à son contrat.


Phalènes, pyrales et puis phosphores, le fil d’Ariane de Loie Fuller fut filament luciférien.

 

A suivre
 

21:44 Publié dans Salomé électrique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, loie fuller, thomas edison, pierre et marie curie