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06/05/2005
Salomé au sang froid
Souvenir aujourd'hui de cette citation (peut-être apocryphe) découverte autrefois, via Gallica, dans quelque article plutôt mal écrit d´un certain Maurice Vaucaire intitulé « Salomé à travers l´art et la littérature » (Nouvelle Revue du 15 mai 1907) et qu´il attribuait à un moine du quatorzième siècle, dont il n´a pas, hélas, cité le nom:
« [Salomé] s´était ingérée de faire quelques voyages en temps d´hiver et, en son chemin, y avait une rivière à passer, et parce que la gelée l´avait si bien fait prendre et coller ensemble que l´on y voyait une glace continuelle. Pour la passer plus à l´aise, elle se mit à pied ; mais ainsi qu´elle était dessus, la glace se rompit et ce, par l´ordonnance divine, tellement qu´elle tomba à l´eau jusqu´au cou et remua les parties basses de son corps. La voilà qui danse doucement, non sur terre, cette fois, mais dans l´eau et sa méchante tête, gelée par la froidure, est séparée du corps, non par un glaive, mais par les croûtes de glace, représentant ainsi un spectacle qui rafraîchissait aux regardants la mémoire de son crime. »
Allégorie merveilleuse d´une femme faite statue de glace afin de mieux, justement, rafraîchir la mémoire des passants, la danseuse éternelle est ici punie divinement par où elle pêcha. Et cette punition divine est double. Car d´une part, celle qui pirouettait sans cesse, dansait si agilement sur les mains, a maladroitement chu en laissant glisser son pied : le froid la force alors à remuer son corps non plus esthétiquement, mais de manière mécanique, automatique, sans doute peu gracieuse et par simple nécessité de survie. Et car c´est d´autre part l´eau d´une de ces rivières chères au Baptiste assassiné qui se fait vengeresse et glaciale pour froidement couper le cou de celle qui avait fait décapiter Jean. Tête pour tête en somme, et perfection de la main qui damne, puisqu´à la demande atroce que Salomé fit de sang froid, quel autre châtiment aurait été plus approprié que celui de son sang gelant ? Et le feu féminin si sensuel de la danse qui enflammait de passion tous les hommes présents au banquet est lui aussi à jamais éteint et glacé : la terrible pécheresse qui fit mourir un saint homme n´est plus dangereuse dès lors que le récit parvient à la réduire à l´opposé de la voluptueuse femme sans tête surréaliste – soit à une simple tête méchante et sans corps, éminemment frigide.
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