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12/07/2006

Rosa magnifica

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« Quelle est celle-ci, sortie des révoltes du monde, qui, tragique, secrète, mortelle, avec les sûrs venins de son sang transvasé, combine les philtres vésaniques et propose à son compagnon misérable l’ironie d’un bonheur à jamais renoncé ? Ah ! Je te reconnais, empuse amertumée de nos lies, salée de nos larmes, soeur délicieuse d'irrédemption, sœur insidieuse et secourable de nos tourments d’irréel. Tu m’apparus avec le masque de chien, avec le véhément visage calme d’Aude. Mais, ô beauté du sacrifice ! ô duperie expiatoire ! Dans la damnation, c’est encore l’holocauste de son amour qu’elle livre à l’homme. Elle s’immole et la première boit le breuvage empoisonné. L’ayant éprouvée sous ses quatre aspects, eussé-je pu concevoir autrement la femme ? Toutes me prirent la bouche avec le même mouvement animal des lèvres. Toutes m’évoquèrent la petite femme lascive et calculée qui depuis les commencements de la genèse répétait les mêmes gestes. D' abord elles furent trois ; elles furent trois femmes et trois péchés. Puis survint Aude et celle-là fut tous les péchés et toute la prédestination de la femme. Aude marcha nue sous la nuit du bois, Aude dansa mes danses de Salomé, Aude s’institua la nonne de mes perversités. Je me surprenais, en dehors du plaisir, à étudier ses rythmes splendides, seulement obscurs pour elle. Chacun avait un sens fatal et éternel. Ils me suggéraient d’effarantes conjectures qui les reliaient aux séries transmuées. Ses aïeules durent posséder ce crâne étroit et instinctif des bayadères ou des incultes servantes, ce front courbe des espèces bornées et génitales. Cependant un altier geste royal dont elle rejetait en arrière les massives torsades de sa chevelure pareille à une toison dénotait l’empire et la conquête. Elle croisait souvent les mains et les élevait au-dessus d’elle, comme des chaînes et des lianes, avec un geste humilié ou las dont la plastique insidieuse implora et subjugua le maître barbare. Sa marche grave, lente, préméditée, différait du tressautement léger, du pas dansant et subreptice des précieuses demoiselles. Elle évoquait plutôt les mimes simulant un dessein artificieux, de lasses campagnardes après la moisson, des religieuses se rendant au réfectoire. Elle aimait les fourrures, les métaux, les paresses vautrées, l’accroupissement sur les tapis en se tenant les pieds dans les mains. Elle arrivait chez moi avec de lourds bracelets d’or à chaque bras, symbole inconscient des servages passés. Sa peau était poivrée d’odeurs âcres rappelant le girofle et de safran. Elle jouissait de lacérer des coeurs de roses et des pétales d'oeillets en un massacre rouge qu’elle faisait couler dans sa gorge ou qu’elle épandait sous elle dans les draps. Et ensuite elle les ramassait à poignées et avec une sensualité sauvage les enfonçait en ses narines, toutes chaudes de sa vie. »

(Camille Lemonnier in L'homme en amour )

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