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24/10/2006

Osmologie ekphrastique

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Les yeux comme embués de songes éthyliques, Salomé à la rousse chevelure de sorcière et de traîtresse (Judas n'est-il pas traditionnellement roux ?) ferme à tous jamais, du bout de ses doigts pailletés de pierreries, les paupières de Jean-Baptiste et, ce faisant, lui refuse un dernier regard, se refuse au mauvais œil. Œil pour œil pourtant, car le seul personnage du tableau qui de son regard perçant semble nous jauger, n'est autre qu'une Hérodias vieillissante et voilée, portant une tête de mort angoissante en guise de breloque ainsi qu'un grand éventail orgueilleux qu'elle manie comme un sceptre. Terrible nouvelle Junon drapée de froide arrogance, Hérodias qui soutient le regard s'approprie presque tous ces yeux dessinés sur les plumes de paon. Œil pour œil alors parce que dans ce tableau, l'amer Thanatos sous la figure de la mère se venge de la jeunesse en semblant rendre à tout jamais impossible la danse érotique légère de Salomé : voici venu le temps des yeux clos et du sang, le temps de la mort et la fin du jeu amoureux.

 

Chromatiquement, c'est d'ailleurs du côté du sombre que se situe Hérodias tandis que l'écharpe rouge vif de l'Hérode rieur appelle le rouge sanglant qui oint encore la lame de l'épée du premier plan. Le pouvoir direct est ici celui du sang et le bourreau ne représente rien de plus que la main du tyran. Vêtue comme l'homme à l'épée de jaune ensoleillé et lumineux, la danseuse retrouve son statut d'objet intermédiaire autant qu'indispensable : sans sa danse, Hérodias n'aurait jamais obtenu ce qu'elle voulait, sans le coup ultime tranchant la gorge du Baptiste, Hérode n'aurait pas pu se réjouir de cette tête déchue. C'est de la vie lumineuse, virevoltante, obéissante et irresponsable que surgit l'horreur mortifère.

 

Mais, oh, que de chair, que d'effluences animales dans ce tableau de Lovis Corinth ! Dissonance érotique des effluves, Salomé soliflore embaume sans le vouloir celui dont un esclave, déjà, enroule le corps dans un suaire taché. Et à l'arôme arrondi des fleurs capiteuses que la danseuse a piqué dans sa chevelure, se mêle comme un parfum orgiaque et musqué, celui de tous ces corps presque nus penchés sur une tête sanglante, l'ambre aussi de l'animalité des plumes de paon, dont le bruissement tout oriental exhale quelques chaudes notes poudrées et vanillées, alors que la fraîcheur des perles glissant sur la peau de Salomé laisse s'évaporer le tout dernier soupçon hespéridé, celui d'un virginal bouquet de fleurs d'oranger dont seule demeure la couleur, incrustée dans les voiles et dans nos souvenirs.