14/06/2008
Chorégraphiquement fui...
« Voici définie une parfaite méthode de lecture: remplaçons la danseuse par Mallarmé lui-même, substituons au texte chorégraphique les figures verbales d'un poème, et nous aurons trouvé le moyen le plus commode d'entrer dans son univers tout en restant fidèle à sa leçon. » (Jean-Pierre Richard in L’Univers imaginaire de Mallarmé)
Un univers mallarméen dans lequel on pourrait entrer si la leçon fidèlement suivie n’était pas, justement, que le seuil sied au spectateur, que le lecteur aussi peut judicieusement y demeurer songeur.
Songeons donc un instant, à l’orée de la rampe et du chemin, en cette arrière-scène de bas-côtés…
Mallarmé, de fait, n’est pas la Danseuse, ne saurait donc lui être tout à fait substitué. Accepter ainsi une méthode de lecture où les figures verbales seraient équivalentes aux figures chorégraphiques, où la stylistique des corps pensant égalerait celle de l’esprit se faisant chair, n’est-ce pas en effet céder sans façon au célèbre démon de l’analogie ?
Et d’ailleurs le poète ne joue guère ici à se féminiser d’entrechats. Loin, bien loin de cette « virginité de site étranger, à tout au-delà, pas songé, » il est celui qui se promène en terra cognita, celui qui flâne aussi en « une matinée bientôt d'été, en un jardin » se « remémor[an]t, pour les exclure, les sensations de la saison théâtrale récente. » En d’autres mots, tandis que la Danseuse de la mémoire de Mallarmé habilla le néant virtuel de sa danse, peupla la nudité scénique de sa chorégraphie, il avance quant à lui pas à pas au présent dans la réalité. Là où la danse fut affaire de figures à bâtir et de fleurissements en devenirs, le poète reste celui qui choisit, exclut et puis décide non pas de faire surgir l’ampleur immense du tissu de ses pensées en expansion, mais bien d’élire, en esthète, ses souvenirs. Une seule danse (c’est-à-dire une unique danseuse) trouve grâce ainsi en sa mémoire – affaire de diamants, de virevoltes d’hivers et puis d’étendues vierges – Hérodiade en somme, irrémédiablement inscrite en ses pensées.
Au fil de la promenade, les impressions mémorielles éparses de Mallarmé infusent le texte entier et, s’y glissant, la chorégraphie de Loie Fuller tisse aussi quelques métaphores arachnéennes de soie en jeux de voiles et de lumière. Art de l’éphémère papillonnant que celui des tourbillons épanouis de tissus propagés, cette solitaire danse qui tel un inestimable joyau scintillait l’hiver précédent, brille encore, précieuse et rare, sous la plume du poète.
Or, loin de Paris et de la scène, le promeneur va bientôt laisser ce « hâtif soleil naturel » dissiper toute « réminiscences citadines. » Ce qui demeurera alors et qui demeure encore n’est autre que le texte, tandis que la vision silencieuse et muette, cette vision au charme pourtant spirituel s’est déjà effacée, dispersée par la mode. Car la foule « en stupeur, » trouvera de nouveau une « délicieuse éclosion contemporaine, suggestive, spéciale. » De la fulgurance en éclair de ce qui fut la « forme théâtrale de poésie par excellence » – momentané seyant aux ailes des papillons comme aux plis d’éventails – il ne reste donc rien, à jamais, de tangible. Mais fixant son vertige, Mallarmé a happé, aussi, des lueurs insaisissables. Vestige alors ou ruines que ce froufrou des phrases, longues et soudain incises, ces vagues fascinantes poursuivies doucement en adverbes qui s’allongent, délicieux décombres inscrits sur le papier de ce qui se nomma, un jour, peut-être, chorégraphie.
10:04 Publié dans Salomé électrique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : mallarmé, fuller, littérature, lecture, écriture, danse
15/05/2008
Salomé électrique - Interlude
« Quand, au lever de rideau, dans une salle de gala ou tout local, apparaît ainsi qu'un flocon, d'où soufflé ? miraculeux, la Danseuse, le plancher évité par bonds ou que marquent les pointes, immédiatement, acquiert une virginité de site étranger, à tout au delà, pas songé ; et que tel indiquera, bâtira, fleurira la d'abord isolante Figure. Le décor gît, futur, dans l'orchestre, latent trésor des imaginations ; pour en sortir, par éclats, selon la vue que dispense la représentante ça et là de l'idée à la rampe. Pas plus ! or cette transition de sonorités aux tissus (qu'y a-t-il, mieux à un voile ressemblant, que la musique !) est, visiblement, ce qu'accomplit la Loïe Fuller, par instinct, avec ses crescendos étalés, ses retraits, de jupe ou d'elle, instituant le séjour. L'enchanteresse crée l'ambiance, la tire ainsi de soi et l'y rentre, succinctement ; l'exprime par un silence palpité de crêpes de Chine. » (Stéphane Mallarmé cf. )
« Voici définie une parfaite méthode de lecture: remplaçons la danseuse par Mallarmé lui-même, substituons au texte chorégraphique les figures verbales d'un poème, et nous aurons trouvé le moyen le plus commode d'entrer dans son univers tout en restant fidèle à sa leçon. »
(Jean-Pierre Richard in L’Univers imaginaire de Mallarmé)
23:36 Publié dans Salomé électrique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mallarmé, loie fuller, frères lumière, jean-pierre richard
10/02/2005
CONSIDÉRATIONS SUR L'ART DU BALLET ET LA LOÏE FULLER
RELATIVEMENT à la Loïe Fuller, en tant qu'elle se propage de tissus épanouis alentour et ramenés à sa personne par l'action d'une danse solitaire, depuis un hiver, au rare étonnement des parisiens devant une révélation, tout a été dit en des études quelques unes presque des poèmes ; mon intention n'est de rien ajouter. Plutôt comme tout à l'heure, parmi les bois ou les prés et l'eau, avant d'autoriser un hâtif soleil naturel à tout à fait dissiper mes réminiscences citadines, je m'y complus ; fixer, la seule, indiscutablement, qui mérite une arrière-attention, vu que l'esprit chez moi s'obstine à en tirer ce que, peut-être, elle signifia. Le don, de toute ingénuité et avec certitude fait, par cet exotique fantôme, au Ballet, selon moi la forme théâtrale de poésie par excellence, je le déclare inestimable. Reconnaître cet apport, entier et dans ses conséquences, me plaît ; tard, à la faveur du recul.
Une banalité s'interpose à travers de l'éblouissement, entre le spectacle dansé et vous ; l'empêchement à ce que cette extériorité satisfasse la suprême délicatesse, comme par exemple y atteint le plaisir trouvé dans la lecture des vers, découle seulement de l'inintelligence, chez le librettiste, des moyens subtils qu'il emploie : celui-ci ne pénètre l'arcane de la Danse. La restaurer, et son esthétique, outre-passe quelques notes à côté, où, du moins, je dénoncerai, à un point de vue facile et proche, une erreur ordinaire à la mise en scène : aidé comme je suis, inespérément et soudain, par la solution que déploie, avec le vaste jeu seul de sa robe, ma très peu consciente ou volontairement ici en cause
inspiratrice.
Quand, au lever de rideau, dans une salle de gala ou tout local, apparaît ainsi qu' un flocon, d'où soufflé ? miraculeux, la Danseuse, le plancher évité par bonds ou que marquent les pointes, immédiatement, acquiert une virginité de site étranger, à tout au delà, pas songé ; et que tel indiquera, bâtira, fleurira la d'abord isolante Figure. Le décor gît, futur, dans l'orchestre, latent trésor des imaginations ; pour en sortir, par éclats, selon la vue que dispense la représentante ça et là de l'idée à la rampe. Pas plus ! or cette transition de sonorités aux tissus (qu'y a-t-il, mieux à un voile ressemblant, que la musique !) est, visiblement, ce qu'accomplit la Loïe Fuller, par instinct, avec ses crescendos étalés, ses retraits, de jupe ou d'elle, instituant le séjour. L'enchanteresse crée l'ambiance, la tire ainsi de soi et l'y rentre, succinctement ; l'exprime par un silence palpité de crêpes de Chine.
Selon ce sortilège et aussitôt va de la scène disparaître, comme dans ce cas une imbécillité, la plantation traditionnelle de stables ou opaques décors si en opposition avec la mobilité limpide chorégraphique. Châssis peints ou carton, toute cette intrusion, maintenant, au rancart ; voici rendue au Ballet l'authentique atmosphère, ou rien,une bouffée sitôt éparse que sue, le temps d' une évocation d' endroit. La scène libre, au gré de la fiction, exhalée du jet d' un voile avec attitudes et le geste, devient le très pur résultat.
Originellement ou hors de cet emploi, l'exercice, étudié comme invention, comporte une ivresse féminine et simultané un accomplissement, je le dirai, industriel : la ballerine se pâme certes, au bain terrible des étoffes, souple, radieuse, froide et elle illustre tel thème circonvolutoire à quoi tend la voltige d'une trame loin éployée, pétale et papillon géants, conque ou déferlement, tout d'ordre net et élémentaire. L'art jaillit incidemment, souverain : de la vie communiquée à des surfaces impersonnelles eurythmiques, aussi du sentiment de leur exagération, quant à la figurante : et de l'harmonieux délire.
Rien n'étonne que ce prodige naisse d'Amérique, et c'est grec. Classique en tant que moderne tout à fait. Au même instant on goûte de la surprise comme devant une innovation exempte d'attaches ou de précédent et quelque réminiscence poind que cela n'a pas été sans se produire par exemple dans les réjouissances de la civilisation asiatique reculée, où fut tout : qu'une femme associât l'envolée de vêtements à sa danse vertigineuse et puissante au point de les soutenir, à l'infini, comme l'image de sa seule expansion.
Le charme, oui, tient en cet effet, spirituel. Si j'ai montré du coup le changement qu'au Ballet, exempt de tout accessoire que la présence humaine, rétabli, porte l'introduction d'une telle nouveauté, ce demeure aussi ma tentation d'en scruter la poésie, conforme au principe du genre.
Toute émotion vient de vous et, constituant votre milieu, vous élargit à ses confins. Ainsi par ce dégagement multiple de plis, autour d'une nudité, grand, orageux, planant en le contradictoire vol où l'ordonne celle-ci ; elle se magnifie à une ampleur démente jusqu' à s'y dissoudre, la robe évoluant comme seule et uniquement en train. Avec ce droit, centrale, car tout obéit à son impulsion ; puis épuisée en le tourbillon, dehors, de sa puissance, elle s'évoque soudain, par sa volonté disséminée aux extrémités diamantales de chaque aile et darde sa statuette, stricte, humaine, debout ; morte aussi de l'effort à ressaisir en leur libération presque d'elle les derniers sursautements attardés d'écume et de lueur.
-- Ou le métrage, ici évalué, de ses effluves.
Fusion, sans arrêt, aux véloces étoffes elles-mêmes se muant selon une agitation virtuelle : joignez la fantasmagorie du reflet oxhydrique par nuances inouïes de crépuscule ou de grotte, leur rapidité en l'échange de passion, sourire, deuil, colère, délice, il faut pour les mouvoir, prismatiques ainsi simplement, avec violence ou diluées, la furie diaprée d'une âme comme mise à l'air ici par un artifice.
Silencieuse tant ! que proférer un mot à son sujet, durant qu'elle se manifeste, très bas et pour l'édification de quelque voisinage, sembla impossible, à cause que d'abord elle confondait : la vision, peut-être, ne sera pas éteinte sous un peu de prose que voici. A mon avis, il importait, ou que la mode disperse cette délicieuse éclosion contemporaine, suggestive, spéciale, d'en extraire la leçon même sommairement.
Comment, dans ma promenade, une matinée bientôt d'été, en un jardin, tandis que je me remémorais, pour les exclure, les sensations de la saison théâtrale récente, seul cela, un “ numéro “ de café-concert à vrai dire extraordinaire, m'apparut-il ainsi que valant malgré sa décoloration déjà que j'en résumasse, pour mon profit, le sens, je ne sais : excepté que, probablement, cette exhibition avait plusieurs mois représenté la somme de beauté supérieure que proposa une capitale à l'intelligence du poëte et à la stupeur de la foule.
23:09 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mallarmé, loie fuller