04/09/2009
Judith en Salomé
La célèbre analyse d’Erwin Panofsky (dont on trouvera trace par ici) revient à supposer que la connaissance du peintre, de ses habitudes et de son milieu offre à l’amateur d’art féru de textes bibliques et expert en mythologie un fil directeur. Ou plutôt, il s’agit là d’une structure, d’un docte cadre où serait à même de s’inscrire l’implacable logique d’un détective esthète. Et de fait, la quête du titre du tableau n’est autre qu’une enquête : Judith ou Salomé, il faut savoir trancher.
Mais ne pourrait-on pas tenter d’éviter l’écueil d’une analyse qui ne serait qu’historiographie ? Conclure en effet que la clef de l’énigme se trouve très objectivement au cœur des us et coutumes de l’artiste et de son école, c’est faire peu de cas de la subjectivité du spectateur et supposer qu’il faille nécessairement accumuler un savoir d’historien de l’art, avant que de pouvoir apprécier esthétiquement la portée d’une œuvre picturale.
Essayons alors d’oublier un instant l’époque et ce que nous savons du peintre pour revenir aux deux figures bibliques de Judith et de Salomé. Comme Panofsky, ce sont essentiellement la tête en son plateau et l’épée qui attirent notre regard. Soulignons l’absence d’ancillaire jeune femme qui aurait pu avoir aidé Judith, tandis que les sombres figures masculines nous donnent à penser que les gardes ont confié leur sabre mortifère à celle qui voulait la tête du Baptiste. Des stigmates poivres et sel dans la barbe (voire des plis douloureux sur le front fatigué), on ne saurait conclure qu’il s’agit d’Holopherne car l’âge de Jean-Baptiste n’est pas non plus certain ; reste que tête, il y a ! Et subjectivement, si l’on conclue ici sur le nom de « Judith » c’est que l’on fait du pourpre éclatant de l’étoffe au premier plan à droite l’esquisse repliée du sac de tissu – dérobé dans la robe – où se dissimulera le fatal trophée. D’ailleurs est suggéré un léger déhanché, un souple pli du bras glissant vers le côté pour que chute, il y ait.
16:46 Publié dans Trame | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : judith, salomé, panofsky, hyphologie
20/09/2006
Par la main d'une femme
Quand il se fit tard, ses officiers se hâtèrent de partir. Bagoas ferma la tente de l'extérieur, après avoir éconduit d'auprès de son maître ceux qui s'y trouvaient encore. Ils allèrent se coucher, fatigués par l'excès de boisson, et Judith fut laissée seule dans la tente avec Holopherne effondré sur son lit, noyé dans le vin. Judith dit alors à sa servante de se tenir dehors, près de la chambre à coucher, et d'attendre sa sortie comme elle le faisait chaque jour. Elle avait d'ailleurs eu soin de dire qu'elle sortirait pour sa prière et avait parlé dans le même sens à Bagoas. Tous s'en étaient allés de chez Holopherne et nul, petit ou grand, n'avait été laissé dans la chambre à coucher. Debout près du lit Judith dit en elle-même « Seigneur, Dieu de toute force, en cette heure, favorise l'oeuvre de mes mains pour l'exaltation de Jérusalem. C'est maintenant le moment de ressaisir ton héritage et de réaliser mes plans pour écraser les ennemis levés contre nous. » Elle s'avança alors vers la traverse du lit proche de la tête d'Holopherne, en détacha son cimeterre, puis s'approchant de la couche elle saisit la chevelure de l'homme et dit : « Rends-moi forte en ce jour, Seigneur, Dieu d'Israël! »
Par deux fois elle le frappa au cou, de toute sa force, et détacha sa tête.
Elle fit ensuite rouler le corps loin du lit et enleva la draperie des colonnes. Peu après elle sortit et donna la tête d'Holopherne à sa servante, qui la mit dans la besace à vivres, et toutes deux sortirent du camp comme elles avaient coutume de le faire pour aller prier. Une fois le camp traversé elles contournèrent le ravin, gravirent la pente de Béthulie et parvinrent aux portes. De loin Judith cria aux gardiens des portes : « Ouvrez, ouvrez la porte! Car le Seigneur notre Dieu est encore avec nous pour accomplir des prouesses en Israël et déployer sa force contre nos ennemis comme il l'a fait aujourd'hui! » Quand les hommes de la ville eurent entendu sa voix, ils se hâtèrent de descendre à la porte de leur cité et appelèrent les anciens. Du plus petit jusqu'au plus grand tout le monde accourut, car on ne s'attendait pas à son arrivée. Les gens ouvrirent la porte, accueillirent les deux femmes, firent du feu pour y voir et les entourèrent. D'une voix forte Judith leur dit : « Louez Dieu! Louez-le! Louez le Dieu qui n'a pas détourné sa miséricorde de la maison d'Israël, mais qui, cette nuit, a par ma main brisé nos ennemis. »
Elle tire alors la tête de sa besace et la leur montre : « Voici la tête d'Holopherne, le général en chef de l'armée d'Assur, et voici la draperie sous laquelle il gisait dans son ivresse! Le Seigneur l'a frappé par la main d'une femme! Vive le Seigneur qui m'a gardée dans mon entreprise! Car mon visage n'a séduit cet homme que pour sa perte. »
08:40 Publié dans Voiles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Jan Massys, Judith, Mythe, Tête coupée, Féminisme