24/11/2006
Pourquoi nul chien
... ne dévora Salomé
Parce que Salomé redonne sens et poids aux mots d'un homme, elle est du côté de ces femmes qui ont fauté, mais qu'on ne lapidera pas pour autant, de ces coupables à qui l'on accordera sans doute le pardon. Relativité biblique, l'on pardonne en effet généralement aux prostituées et aux femmes adultères, mais guère à celles qui volent aux hommes leur parole. Ainsi Jézabel, ayant écrit des lettres assassines au nom de son royal époux Akhab et les ayant scellées du sceau de ce dernier sera d'abord précipitée si violement du haut de sa fenêtre que la muraille en demeurera imbibée de son sang, puis verra son cadavre qu'hommes et chevaux piétinèrent dévoré par les chiens. Et de cette Jézabel dont la mauvaise action suffit à maudire toute la descendance, l'on ne retrouva que crâne, pieds et paumes de mains, restes sanglants non ensevelis mais faits fumier dans ce champ qu'elle avait volé à un autre: « dans la propriété d'Izréel les chiens mangeront la chair de Jézabel, et le cadavre de Jézabel deviendra du fumier en plein champ, dans la propriété d'Izréel, en sorte qu'on ne pourra dire : ceci est Jézabel» (1 Rois, 21:23). Jézabel n'est toutefois pas directement punie parce qu'elle a écrit à la place de son mari, mais à cause de la lapidation injustifiée de Naboth demandée via ces missives afin de pouvoir s'approprier sa vigne. Et ironiquement, cette anonyme qui signa ses lettres du nom d'un autre demeurera nommée en négation, inscrite en absence dans l'objet même de son larcin. Tue pour t'approprier le champ d'un autre, et tu finiras non pas poussière mais fumier dans ce champ niant désormais ton nom. Assassine autrui en lui volant son chant, sa voix, ses mots, sa parole et ton nom à toi ne sera plus que synonyme d'ordure et d'immondice.
22:15 Publié dans Trame | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Jézabel, Salomé, Parole, Danse
14/06/2006
Décollation diabolique
« Alors que Peredur discutait avec son oncle, il observa soudain deux jeunes hommes qui entraient dans la salle et se dirigeaient vers la chambre, portant une lance immense à la pointe de laquelle fusaient trois jets continus de sang ; et voyant cela, toute l’assemblée se mit à sangloter et à se lamenter. Mais ce faisant, l’homme continuait de discuter avec Peredur et comme il ne dit pas à ce dernier le sens de ce qu’il voyait, Peredur se refusa à poser la moindre question. Et quand les lamentations eurent un peu cessé, on vit deux jeunes femmes entrer, portant ensemble un grand plateau sur lequel était posé une tête d’homme, baignant dans une mare de sang. Alors l’assemblée éclata en de tels sanglots que c’était des plus désagréables de se trouver dans cette pièce. Mais finalement, le silence revint et quand il fut l’heure de se coucher, on mena Peredur dans une jolie chambre »*.
Silence dans le texte, Peredur s’endort puis, à l’aube, quitte le château de son mystérieux oncle maternel et ni le lecteur ni le jeune héros gallois n’en saura d’avantage sur cette étrange scène. Car pour savoir, voir n’est pas suffisant : il faut aussi parler et oser demander ; là se trouve le tiers de force secrète qui manque à Peredur pour devenir le guerrier le plus puissant du royaume. Et si par deux fois le jeune homme a su recoller les parties brisées des choses, refaire les symboles, à la troisième et ultime tentative (celle qui finalement seule compte), les morceaux ne correspondent plus entre eux. Echec donc, non pas de la force, ni du courage, ni même de l’esprit mais de la parole : se laissant séduire par l’étrangeté qui le laisse bouche bée, n’osant pas questionner l’oncle qui discute avec lui, Peredur décide de rester dans la superficialité du langage, celle qui, certes, fait les plus belles légendes, les plus somptueuses images et les plus admirables mythes, mais qui ne déchirera jamais l’écorce juteuse des choses. Encore une fois, le soleil sanglant auréolé d’or et de mystère, a su aveugler jusqu’à la plus perfide des prolixes aphasies, celle dont, faute de vraie vie, nous tissons impuissants l’étoffe de nos rêves.
(* ma traduction de celle de Guest)
12:35 Publié dans Trame, Voiles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Littérature, Jean-Baptiste, Mythes, Peredur, Guest, Parole