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14/01/2008

Matérialité du mythe

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Le mythe de Salomé est un mythe de l’élection et du choix. Pour qu’il y ait capitulation, décapitation, Jean-Baptiste doit avoir été fait chef – et l’adoubement du prophète, son ultime baptême est une noyade de l’esprit et de l'âme dans le sang, la mise en scène sacrificielle de sa tête se mirant non plus dans l’eau du Jourdain mais dans les reflets dorés et rougeâtres d’un rutilant plateau. L’auréole du saint se révèle ainsi tangible bien avant que d’être une figure de style. 

16:50 Publié dans Trame | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Salomé, Jean-Baptiste, mythe

05/01/2007

Mythologie sculptée

Jean-Baptiste sculptural, le doigt presque levé en une pose inspirée du célèbre Da Vinci domine souverainement une des salles du Rodin Museum de Philadelphie. Un baptiste hautain, assuré, homme de tête et va-nu-pied dont la nudité semble faire autorité – virilité du geste et de l'esprit tout autant que du corps. Il faudra au visiteur hésiter un peu avant de sortir du petit pavillon dédié à Rodin pour entrapercevoir, en son habituel plateau, le soleil cou coupé modelé par le sculpteur.
 
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L'ombre de Salomé juste avant de partir, en un clin d'œil final comme tombé de rideau, voilà toute la danse tourbillonnant sans bruit. Jeu de voiles des pensées, pourquoi Rodin s'est-il refusé à sculpter les plis et les replis de la fille d'Hérodias ? Etait-ce que cette image déjà faisait cliché ? Qu'il fallait à Rodin repenser le mouvement et puis le recréer ? Les élèves du maître tels Jules Desbois n'hésiteront pas à tourmenter un peu les drapés des sept voiles pour donner l'illusion d'une vitesse instable, d'une femme presque toupie faisant tourner les têtes. Rodin préfère les mains coupées, les masques travaillés, révèle des corporalités toutes emplies de pensée, des corps qui sont des âmes, se refusant ainsi aux simples dichotomies. Or n'est-elle pas scission, séparation d'elle-même la danseuse célèbre en représentation ? Convulsions des martyrs, extase aussi des corps sur cette porte de l'Enfer, inscription de mouvements et chairs qui palpitent, c'est vers l'incarnation que veut tendre Rodin. Et Salomé tout en chair, révélant sous les voiles la blancheur de sa peau n'est rien sinon spectacle, sinon donnée à voir. La tête de Jean-Baptiste certes l'inscrit dans l'Histoire – mais ne l'incarne pas ; mythe ou le devenir d'une désincarnation.
 
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30/10/2006

Le sacrifice de Jean-Baptiste

« Voici la loi du sacrifice d'expiation. C'est dans le lieu où l'on égorge l'holocauste que sera égorgée devant l'Eternel la victime pour le sacrifice d'expiation : c'est une chose très sainte. Le sacrificateur qui offrira la victime expiatoire la mangera ; elle sera mangée dans un lieu saint, dans le parvis de la tente d'assignation. […] Tout mâle parmi les sacrificateurs en mangera : c'est une chose très sainte. » (Lévitique, 6: 18-22)

 

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Vêtu de peaux de bêtes, errant solitairement dans le désert où il se nourrissait de miel et de sauterelles, Jean le Baptiste incarne l'animalité d'un ancien testament qui n'est plus, la parole brute d'une toute autre époque que celle qu'annoncera le fils de Dieu. Mais ce sauveur, c'est Jean lui-même qui l'avait montré du doigt, Jean aussi qui le baptisa ; or celui qui nomme, celui qui oignant, baptisant, donne vie, celui aussi qui vint d'abord et en premier, comment ne pas le penser « père » ?

 

Quoique l'on puisse parfois, selon les textes, considérer Jean comme un presque frère, un cousin de Jésus, lorsqu'à genoux le Baptiste animalisé se fait bouc émissaire sacrifié, il y a lisiblement substitution et passage d'une Loi du Père à une autre : les textes bibliques comportent des traces d'un parricide, d'une castration de la figure paternelle. La décapitation, Freud la considère en effet comme métaphorique d'une castration, la tête coupée s'apparentant au phallus-totem que celui qui décapite s'approprie. Or, lorsque Salomé demande la tête de Jean, c'est au cours d'un banquet et sur un plateau que ce chef lui sera servi, comme si la danseuse avait voulu se délecter d'un met précieux - cannibalisme féminin en suspens, comme ce grand sabre qui trancha, tranche et tranchera...

14/06/2006

Décollation diabolique

« Alors que Peredur discutait avec son oncle, il observa soudain deux jeunes hommes qui entraient dans la salle et se dirigeaient vers la chambre, portant une lance immense à la pointe de laquelle fusaient trois jets continus de sang ; et voyant cela, toute l’assemblée se mit à sangloter et à se lamenter. Mais ce faisant, l’homme continuait de discuter avec Peredur et comme il ne dit pas à ce dernier le sens de ce qu’il voyait, Peredur se refusa à poser la moindre question. Et quand les lamentations eurent un peu cessé, on vit deux jeunes femmes entrer, portant ensemble un grand plateau sur lequel était posé une tête d’homme, baignant dans une mare de sang. Alors l’assemblée éclata en de tels sanglots que c’était des plus désagréables de se trouver dans cette pièce. Mais finalement, le silence revint et quand il fut l’heure de se coucher, on mena Peredur dans une jolie chambre »*.

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Silence dans le texte, Peredur s’endort puis, à l’aube, quitte le château de son mystérieux oncle maternel et ni le lecteur ni le jeune héros gallois n’en saura d’avantage sur cette étrange scène. Car pour savoir, voir n’est pas suffisant : il faut aussi parler et oser demander ; là se trouve le tiers de force secrète qui manque à Peredur pour devenir le guerrier le plus puissant du royaume. Et si par deux fois le jeune homme a su recoller les parties brisées des choses, refaire les symboles, à la troisième et ultime tentative (celle qui finalement seule compte), les morceaux ne correspondent plus entre eux. Echec donc, non pas de la force, ni du courage, ni même de l’esprit mais de la parole : se laissant séduire par l’étrangeté qui le laisse bouche bée, n’osant pas questionner l’oncle qui discute avec lui, Peredur décide de rester dans la superficialité du langage, celle qui, certes, fait les plus belles légendes, les plus somptueuses images et les plus admirables mythes, mais qui ne déchirera jamais l’écorce juteuse des choses. Encore une fois, le soleil sanglant auréolé d’or et de mystère, a su aveugler jusqu’à la plus perfide des prolixes aphasies, celle dont, faute de vraie vie, nous tissons impuissants l’étoffe de nos rêves.

 

(* ma traduction de celle de Guest)

20/04/2005

Fulgurance baptiste

"[C]e cri qui, des années auparavant, avait retenti sur la Seine, derrière moi, n'avait pas cessé, porté par le fleuve vers les eaux de la Manche, de cheminer dans le monde, à travers l'étendue illimitée de l'Océan, et […] il m'y avait attendu jusqu'à ce jour où je l'avais rencontré. Je compris aussi qu'il continuerait de m'attendre sur les mers et les fleuves, partout enfin où se trouverait l'eau amère de mon baptême. Ici encore, dites-moi, ne sommes-nous pas sur l'eau ? Sur l'eau plate, monotone, interminable, qui confond ses limites à celles de la terre ? Comment croire que nous allons arriver à Amsterdam ? Nous ne sortirons jamais de ce bénitier immense."
 
 (Camus, La Chute)

19/04/2005

La Salomé de Samain

medium_salome_romani.jpg "Hérode", extrait du recueil Symphonie héroïque d'Albert Samain.

Mortelle à voir, avec ses yeux diamantins,
Aux pourpres d'un couchant cruel, sous les portiques,
Hérodiade, au lent vertige des cantiques,
Ondule, monotone, en roulis serpentins.

Les colliers ruisselants bruissent, argentins.
Dans l'air ivre, gorgé d'encens asiatiques
Sa robe a des éclairs de gemmes frénétiques ;
Et voici s'écarter ses voiles clandestins.

Et le roi sent, frisson d'or en ses chairs funèbres,
La vipère Luxure enlacer ses vertèbres ;
Et, tendant ses vieux bras de métaux oppressés,

D'une bouche repue, incurablement triste,
Pendant qu'à terre gît le chef de Jean-Baptiste,
Il boit le sang qui brûle au bout des seins dressés,

Et l'irritante horreur des grands yeux révulsés.

08/04/2005

La Salomé de Milosz

Extrait du recueil Femmes et Fantômes

medium_salomecrane.jpeg — Jette cet or de deuil où tes lèvres touchèrent,
Dans le miroir du sang, le reflet de leur fleur
Mélodieuse et douce à blesser !
La vie d'un sage ne vaut pas, ma Salomé,
Ta danse d’Orient sauvage comme la chair,
Et ta bouche couleur de meurtre, et tes seins couleur de désert !
— Puis, secouant ta chevelure, dont les lumières
S’allongent vers mon coeur avec leurs têtes de lys rouges,
— Ta chevelure où la colère
Du soleil et des perles
Allume des lueurs d’épées —
Fais que ton rire ensanglanté sonne un glas de mépris,
Ô beauté de la Chair, toi qui marches drapée
Dans l’incendie aveugle et froid des pierreries !
Ton oeuvre est grande et je t’admire,
Car les yeux du Prophète, lacs de sang et de nuit
Où le fantôme de la tristesse se mire,
Comme l’automne en la rosée des fleurs gâtées
Et le déclin des jours dans les flaques de pluie,
Connaîtront, grâce à toi, la volupté d’Oubli !
— Ah! tournant vers ce front sinistre, que saccagent
Les torches mal éteintes de l’hallucination,
Tes yeux ensoleillés comme les fleurs sauvages
Et les flots de la mer poignardés de rayons,
Tu peux battre des mains, et le faire crier bien fort
Ton rire asiatique amoureux de la mort !
Car, les pensers d’orgueil et les pudeurs de vanité,
Qui tombèrent pour ta gaîté
Avec un bruit d’idole creuse et un râle de bijoux faux,
Ne valent, ni tes bras luisants et recourbés
Comme les glaives et les faux,
Ni tes cheveux amers et durs comme l’herbe brûlée,
Salomé, Salomé,
Glorieuse qui sus chasser
Le sarcoramphe noir Ennui du coeur d’Hérode,
Et qui fis en dansant l’aumône de la mort !
La sagesse mûrit pour la faim de la Terre,
Et toi tu vis ! et tu respires, ô Beauté,
Et ta chair réelle a des brises de santal
A la place où ta voix s’effeuille en accords rares,
Et le Monde s’abreuve à tes veines barbares
Où la pourpre charrie un délice brutal !

— Et nous qui connaissons la certitude unique,
Salomé des Instincts, nous te donnons nos coeurs
Aux battements plus forts que, les soirs de panique,
L’appel désespéré des airains de douleur,

Et nous voulons qu’au vent soulevé par ta robe
Et par ta chevelure éclaboussée de fleurs
Se déchire enfin la fumée
De l’Idéal et des Labeurs,

O Salomé de nos hontes, Salomé !

31/03/2005

La Salomé de Banville

Douzième sonnet du recueil "Les Princesses" medium_salomedolci.2.jpg

"Car elle était vraiment princesse: c'était la
reine de Judée, la femme d'Hérode, celle qui a
demandé la tête de Jean-Baptiste
."
Henri Heine, Atta Troll.

Ses yeux sont transparents comme l'eau du Jourdain.
Elle a de lourds colliers et des pendants d'oreilles;
Elle est plus douce à voir que le raisin des treilles,
Et la rose des bois a peur de son dédain.

Elle rit et folâtre avec un air badin,
Laissant de sa jeunesse éclater les merveilles.
Sa lèvre est écarlate, et ses dents sont pareilles
Pour la blancheur aux lys orgueilleux du jardin.

Voyez-la, voyez-la venir, la jeune reine!
Un petit page noir tient sa robe qui traîne
En flots voluptueux le long du corridor.

Sur ses doigts le rubis, le saphir, l'améthyste
Font resplendir leurs feux charmants: dans un plat d'or
Elle porte le chef sanglant de Jean-Baptiste.

16/03/2005

Le Jean-Baptiste de Mallarmé

medium_lucien_levy-dhurmer.jpg medium_s_f_salome.jpgLe soleil que sa halte
Surnaturelle exalte
Aussitôt redescend
Incandescent

Je sens comme aux vertèbres
S'éployer des ténèbres
Toutes dans un frisson
À l'unisson

Et ma tête surgie
Solitaire vigie
Dans les vols triomphaux
De cette faux

Comme rupture franche
Plutôt refoule ou tranche
Les anciens désaccords
Avec le corps

Qu'elle de jeûnes ivre
S'opiniâtre à suivre
En quelque bond hagard
Son pur regard

Là-haut où la froidure
Éternelle n'endure
Que vous le surpassiez
Tous ô glaciers

Mais selon un baptème
Illuminée au même
Principe qui m'élut
Penche un salut.

10/03/2005

La Salomé d'Apollinaire

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Pour que sourie encore une fois Jean-Baptiste
Sire je danserais mieux que les séraphins
Ma mère dites-moi pourquoi vous êtes triste
En robe de comtesse à côté du Dauphin

Mon cœur battait battait très fort à sa parole
Quand je dansais dans le fenouil en écoutant
Et je brodais des lys sur une banderole
Destinée à flotter au bout de son bâton

Et pour qui voulez-vous qu'à présent je la brode
Son bâton refleurit sur les bords du Jourdain
Et tous les lys quand vos soldats ô roi Hérode
L'emmenèrent se sont flétris dans mon jardin

Venez tous avec moi là-bas sous les quinconces
Ne pleure pas ô joli fou du roi
Prends cette tête au lieu de ta marotte et danse
N'y touchez pas son front ma mère est déjà froid

Sire marchez devant trabants marchez derrière
Nous creuserons un trou et l'y enterrerons
Nous planterons des fleurs et danserons en rond
Jusqu'à l'heure où j'aurai perdu ma jarretière
Le roi sa tabatière
L'infante son rosaire
Le curé son bréviaire