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26/04/2006

Aura de Décadence

Ombre parmi les ombres, loin très loin toutefois de ces vers de Desnos, Salomé se promène. Et les tableaux, fenêtres encadrées d'or sur des murs colorés habillent, peuplent le musée de figures et d'histoires ; la tête lui tourne un peu tant il y a à voir… Puis là, en pleine lumière, rendue presque invisible du grand ensoleillement, la peinture trop sèche se craquelle comme une peau tannée qu'on aurait brûlée vive. Sur la surface violemment éclairée de cette toile très sombre, Salomé maladive de cernes mais toujours tout en chair est femme de mauvaise vie :

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Les vieillissements des œuvres sont parfois des miracles : c'est en marge du corps blanc et rose de la belle que la toile a souffert – tout un halo de temps, une grande aura d'histoire autour de la danseuse… Oui, l'ombre se fendille, le noir se fait crevasses dans le fond du tableau mais le charnel résiste, en est comme révélé, comme encore renforcé. Un an avant sa mort, le peintre Victor Müller signa ce « Salome mit dem Haupt des Johannes ». 1870, l'époque salomesque qui sera décadente en est à ses débuts et le choix même du titre peut se lire galipette : non pas le « Kopf » occlusif (qui se fait presque « chef » si on le dit très vite mais qui demeure pourtant une toute simple « tête »!), mais un « Haupt » capital et princier, la capitulation du siège des pensées, la chair et la luxure en lettres capitales. Car décapiter Jean, c'est choisir le charnel, la licence et l'opium d'une vie de décadence, c'est devenir dandy en cette fin de siècle. Pas une goutte de sang sur le chef achevé, mais du rouge, petites touches pour les joues, et les lèvres, et le téton aussi de la belle danseuse essoufflée plus qu'émue : cruauté de la femme fatale, rougissant de désir et de vie qui méchamment jauge de dédain le passant spectateur et refuse à la tête renversée du Baptiste un tout dernier regard…

15/04/2005

La Salomé de Schwob

Via l'une des « Sœurs de Monelle » du chapitre II du Livre de Monelle de Marcel Schwob.

Le texte cité aujourd'hui ne parle pas directement de Salomé, mais termine cette brève nouvelle nommée « L'insensible » et évoque la fin du voyage de Morgane, froide princesse n'aimant personne partie à la recherche de l'hôtellerie de l'anneau où se trouverait, selon les prêtres de son pays, le véritable miroir...

medium_salometete.jpg" Et plus loin s'étend le désert de sable gris, où les plantes et les pierres sont pareilles au sable. Et à l'entrée de ce désert Morgane trouva l'hôtellerie de l'anneau.
Elle fit arrêter sa litière, et les muletiers déchargèrent les mules. C'était une maison ancienne, bâtie sans l'aide du ciment; et les blocs de pierre étaient blanchis par le soleil. Mais le maître de l'hôtellerie ne put lui parler du miroir: car il ne le connaissait point.
Et le soir, après qu'on eut mangé les galettes minces, le maître dit à Morgane que cette maison de l'anneau avait été dans les temps anciens la demeure d'une reine cruelle. Et elle fut punie de sa cruauté. Car elle avait ordonné de couper la tête à un homme religieux qui vivait solitaire au milieu de l'étendue de sable et faisait baigner les voyageurs avec de bonnes paroles dans l'eau du fleuve. Et aussitôt après cette reine périt, avec toute sa race. Et la chambre de la reine fut murée dans sa maison. Le maître de l'hôtellerie montra à Morgane la porte bouchée par des pierres.
Puis les voyageurs de l'hôtellerie se couchèrent dans les salles carrées et sous l'auvent. Mais vers le milieu de la nuit, Morgane éveilla ses muletiers et fit enfoncer la porte emmurée. Et elle entra par la brèche poussiéreuse, avec un flambeau de fer.
Et les gens de Morgane entendirent un cri, et suivirent la princesse. Elle était agenouillée au milieu de la chambre murée, devant un plat de cuivre battu rempli de sang, et elle le regardait ardemment. Et le maître de l'hôtellerie leva les bras: car le sang du bassin n'était pas tari dans la chambre close depuis que la reine cruelle y avait fait placer une tête coupée.

Personne ne sait ce que la princesse Morgane vit dans le miroir de sang. Mais sur la route du retour ses muletiers furent trouvés assassinés, un à un, chaque nuit, leur face grise tournée vers le ciel, après qu'ils avaient pénétré dans sa litière. Et on nomma cette princesse Morgane la Rouge, et elle fut une fameuse prostituée et une terrible égorgeuse d'hommes."

14/04/2005

« Ici, elle était vraiment fille »

medium_imageg2p.jpg Tentant de passer outre les échos zolesques fort compréhensibles (après tout, les deux écrivains furent longtemps amis et le décadent en devenir Huysmans était originellement un presque disciple du trop célèbre réaliste) de cette petite phrase postée hier dans ce carnet, je me demande pourquoi l'image de la danseuse Salomé fut sans cesse remplacée au dix-neuvième siècle par celle de la catin. Il est fort probable que la scène de la danse des sept voiles soit un ajout tardif au texte biblique qui permit des gloses rendant coquetterie, artifice et jeux sensuels féminins de voiles responsables de la décollation d'un saint homme. Mais jamais on n'écrivit alors que Salomé était autre chose qu'une danseuse séductrice, qu'une charmeuse voilée, et il est difficile d'imaginer que la propre fille d'Hérodias (c'est-à-dire selon le texte à la fois la femme et la belle-sœur d'Hérode) ait été de celles faisant commerce de leurs charmes.

Mais pour que Salomé soit fatale, il faut qu'elle fasse plus que de demander la tête du prophète, et que dans la séduction de sa chorégraphie se mêlent le souffle sautillant et vivant d'Eros à l'ombre terrifiante et assassine de Thanatos. Prostituée parce que dangereuse, tentatrice, refusant d'offrir, de donner mais arrachant aux hommes sperme et argent, sans que de cet échange ne demeure aucune trace tangible ou visible. Putain parfaite celle qui, comme Salomé, va jusqu'à faire de la vie de l'homme le prix de l'acte charnel. Non pas la bourse ou la vie, mais la vie pour payer un baiser, qui sera post-mortem. Et lorsque qu'elle posera ultimement sa bouche sur des lèvres mortes, pulsions de vie et pulsions de mort s'accorderont enfin, et c'est pourquoi il ne peut y avoir de plus beau baiser que ce baiser mythique, qui sans doute jamais ne fut.