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13/03/2008

« mièvre et féroce »

Madame Daudet, lectrice de l’Hérodias de Flaubert: « Jamais cet épisode si connu de l’histoire juive était apparu avec cette magie de vérité et cette grâce mièvre et féroce que la danseuse Salomé, les lèvres et les sourcils peints, un carré de soie changeante aux épaules, les pieds chaussés de petites pantoufles en duvet de colibri, à demi romaine et barbare, communique à tout ce récit, le plus complet peut-être des trois contes » (Julia Daudet, Études Littéraires - initialement publié sous le pseudonyme Karl Steen, dans le Journal officiel du 12 juin 1877).

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Plus loin, la même sur Les Princesses de Banville « Ces sonnets ressemblent à des tapisseries anciennes, où sont tissées, dans un cadre tout orné d’attributs mêlés de feuillages exotiques, des nobles dames et des déesses. Chaque point a la saillie d’une perle; et pourtant les couleurs se fondent si bien, brillant si finement que les yeux des femmes, leurs mains roses resplendissent encore parmi ces magnificences qui leur prêtent seulement le feu d’un rayon, la caresse d’un reflet. Rien de plus lumineux, rien de plus doux » (Julia Daudet, Études Littéraires).

23/03/2005

La Salomé de Flaubert

Scène de la danse du chapitre III de l'Hérodias

"Mais il arriva du fond de la salle un bourdonnement de surprise et d'admiration. Une jeune fille venait d'entrer.

Sous un voile bleuâtre lui cachant la poitrine et la tête, on distinguait les arcs de ses yeux, les calcédoines de ses oreilles, la blancheur de sa peau. Un carré de soie gorge-de-pigeon, en couvrant les épaules, tenait aux reins par une ceinture d'orfèvrerie. Ses caleçons noirs étaient semés de mandragores, et d'une manière indolente elle faisait claquer de petites pantoufles en duvet de colibri. Sur le haut de l'estrade, elle retira son voile. C'était Hérodias, comme autrefois dans sa jeunesse. Puis elle se mit à danser. Ses pieds passaient l'un devant l'autre, au rythme de la flûte et d'une paire de crotales. Ses bras arrondis appelaient quelqu'un, qui s'enfuyait toujours. Elle le poursuivait, plus légère qu'un papillon, comme une Psyché curieuse, comme une âme vagabonde et semblait prête à s'envoler.

medium_salome-l.jpg Les sons funèbres de la gingras remplacèrent les crotales. L'accablement avait suivi l'espoir. Ses attitudes exprimaient des soupirs, et toute sa personne une telle langueur qu'on ne savait pas si elle pleurait un dieu, ou se mourait dans sa caresse. Les paupières entrecloses, elle se tordait la taille, balançait son ventre avec des ondulations de houle, faisait trembler ses deux seins, et son visage demeurait immobile, et ses pieds n'arrêtaient pas.

[…] Puis ce fut l'emportement de l'amour qui veut être assouvi. Elle dansa comme les prêtresses des Indes, comme les Nubiennes des cataractes, comme les Bacchantes de Lydie. Elle se renversait de tous les côtés, pareille à une fleur que la tempête agite. Les brillants de ses oreilles sautaient, l'étoffe de son dos chatoyait ; de ses bras, de ses pieds, de ses vêtements jaillissaient d'invisibles étincelles qui enflammaient les hommes. Une harpe chanta ; la multitude y répondit par des acclamations. Sans fléchir ses genoux en écartant les jambes, elle se courba si bien que son menton frôlait le plancher ; et les nomades habitués à l'abstinence, les soldats de Rome experts en débauches, les avares publicains, les vieux prêtres aigris par les disputes, tous, dilatant leurs narines, palpitaient de convoitise.

Ensuite elle tourna autour de la table d'Antipas, frénétiquement, comme le rhombe des sorcières ; et d'une voix que des sanglots de volupté entrecoupaient, il lui disait - « Viens ! viens ! » - Elle tournait toujours ; les tympanons sonnaient à éclater, la foule hurlait. Mais le Tétrarque criait plus fort « Viens ! viens ! Tu auras Capharnaüm ! la plaine de Tibérias ! mes citadelles ! la moitié de mon royaume ! »

medium_salome_schmutzler.jpg Elle se jeta sur les mains, les talons en l'air, parcourut ainsi l'estrade comme un grand scarabée ; et s'arrêta brusquement. Sa nuque et ses vertèbres faisaient un angle droit. Les fourreaux de couleur qui enveloppaient ses jambes, lui passant par-dessus l'épaule, comme des arcs-en-ciel, accompagnaient sa figure, à une coudée du sol. Ses lèvres étaient peintes, ses sourcils très noirs, ses yeux presque terribles, et des gouttelettes à son front semblaient une vapeur sur du marbre blanc.

Elle ne parlait pas. Ils se regardaient.

Un claquement de doigts se fit dans la tribune. Elle y monta, reparut ; et, en zézayant un peu, prononça ces mots, d'un air enfantin.

- « Je veux que tu me donnes dans un plat... la tête... »

Elle avait oublié le nom, mais reprit en souriant : « La tête de Iaokanann ! » "