31/03/2005
La Salomé de Banville
Douzième sonnet du recueil "Les Princesses"
"Car elle était vraiment princesse: c'était la
reine de Judée, la femme d'Hérode, celle qui a
demandé la tête de Jean-Baptiste."
Henri Heine, Atta Troll.
Ses yeux sont transparents comme l'eau du Jourdain.
Elle a de lourds colliers et des pendants d'oreilles;
Elle est plus douce à voir que le raisin des treilles,
Et la rose des bois a peur de son dédain.
Elle rit et folâtre avec un air badin,
Laissant de sa jeunesse éclater les merveilles.
Sa lèvre est écarlate, et ses dents sont pareilles
Pour la blancheur aux lys orgueilleux du jardin.
Voyez-la, voyez-la venir, la jeune reine!
Un petit page noir tient sa robe qui traîne
En flots voluptueux le long du corridor.
Sur ses doigts le rubis, le saphir, l'améthyste
Font resplendir leurs feux charmants: dans un plat d'or
Elle porte le chef sanglant de Jean-Baptiste.
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28/03/2005
Interlude en pseudo péplum
10:55 Publié dans Trame, Voiles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : thomas duzer, rita hayworth, anaximandrake, salomé, cinéma, voiles
23/03/2005
La Salomé de Flaubert
Scène de la danse du chapitre III de l'Hérodias
"Mais il arriva du fond de la salle un bourdonnement de surprise et d'admiration. Une jeune fille venait d'entrer.
Sous un voile bleuâtre lui cachant la poitrine et la tête, on distinguait les arcs de ses yeux, les calcédoines de ses oreilles, la blancheur de sa peau. Un carré de soie gorge-de-pigeon, en couvrant les épaules, tenait aux reins par une ceinture d'orfèvrerie. Ses caleçons noirs étaient semés de mandragores, et d'une manière indolente elle faisait claquer de petites pantoufles en duvet de colibri. Sur le haut de l'estrade, elle retira son voile. C'était Hérodias, comme autrefois dans sa jeunesse. Puis elle se mit à danser. Ses pieds passaient l'un devant l'autre, au rythme de la flûte et d'une paire de crotales. Ses bras arrondis appelaient quelqu'un, qui s'enfuyait toujours. Elle le poursuivait, plus légère qu'un papillon, comme une Psyché curieuse, comme une âme vagabonde et semblait prête à s'envoler.
Les sons funèbres de la gingras remplacèrent les crotales. L'accablement avait suivi l'espoir. Ses attitudes exprimaient des soupirs, et toute sa personne une telle langueur qu'on ne savait pas si elle pleurait un dieu, ou se mourait dans sa caresse. Les paupières entrecloses, elle se tordait la taille, balançait son ventre avec des ondulations de houle, faisait trembler ses deux seins, et son visage demeurait immobile, et ses pieds n'arrêtaient pas.
[…] Puis ce fut l'emportement de l'amour qui veut être assouvi. Elle dansa comme les prêtresses des Indes, comme les Nubiennes des cataractes, comme les Bacchantes de Lydie. Elle se renversait de tous les côtés, pareille à une fleur que la tempête agite. Les brillants de ses oreilles sautaient, l'étoffe de son dos chatoyait ; de ses bras, de ses pieds, de ses vêtements jaillissaient d'invisibles étincelles qui enflammaient les hommes. Une harpe chanta ; la multitude y répondit par des acclamations. Sans fléchir ses genoux en écartant les jambes, elle se courba si bien que son menton frôlait le plancher ; et les nomades habitués à l'abstinence, les soldats de Rome experts en débauches, les avares publicains, les vieux prêtres aigris par les disputes, tous, dilatant leurs narines, palpitaient de convoitise.
Ensuite elle tourna autour de la table d'Antipas, frénétiquement, comme le rhombe des sorcières ; et d'une voix que des sanglots de volupté entrecoupaient, il lui disait - « Viens ! viens ! » - Elle tournait toujours ; les tympanons sonnaient à éclater, la foule hurlait. Mais le Tétrarque criait plus fort « Viens ! viens ! Tu auras Capharnaüm ! la plaine de Tibérias ! mes citadelles ! la moitié de mon royaume ! »
Elle se jeta sur les mains, les talons en l'air, parcourut ainsi l'estrade comme un grand scarabée ; et s'arrêta brusquement. Sa nuque et ses vertèbres faisaient un angle droit. Les fourreaux de couleur qui enveloppaient ses jambes, lui passant par-dessus l'épaule, comme des arcs-en-ciel, accompagnaient sa figure, à une coudée du sol. Ses lèvres étaient peintes, ses sourcils très noirs, ses yeux presque terribles, et des gouttelettes à son front semblaient une vapeur sur du marbre blanc.
Elle ne parlait pas. Ils se regardaient.
Un claquement de doigts se fit dans la tribune. Elle y monta, reparut ; et, en zézayant un peu, prononça ces mots, d'un air enfantin.
- « Je veux que tu me donnes dans un plat... la tête... »
Elle avait oublié le nom, mais reprit en souriant : « La tête de Iaokanann ! » "
09:55 Publié dans Voiles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gustave flaubert, littérature, salomé, danse, voiles
21/03/2005
Une des Salomé de Moreau
Réflexions suivant l'ekphrasis du chapitre V de A Rebours de Huysmans.
"Ce type de la Salomé si hantant pour les artistes et pour les poètes, obsédait, depuis des années, des Esseintes. Combien de fois avait-il lu dans la vieille bible de Pierre Variquet, traduite par les docteurs en théologie de l'Université de Louvain, l'évangile de saint Mathieu qui raconte en de naïves et brèves phrases, la décollation du Précurseur; combien de fois avait-il rêvé, entre ces lignes:
Au jour du festin de la Nativité d'Hérode, la fille d'Hérodias dansa au milieu et plut à Hérode.
Dont lui promit, avec serment, de lui donner tout ce qu'elle lui demanderait.
Elle donc, induite par sa mère, dit: Donne-moi, en un plat, la tête de Jean-Baptiste.
Et le roi fut marri, mais à cause du serment et de ceux qui étaient assis à table avec lui, il commanda qu'elle lui fût baillée.
Et envoya décapiter Jean, en la prison.
Et fut la tête d'icelui apportée dans un plat et donnée à la fille et elle la présenta à sa mère.
Mais ni saint Mathieu, ni saint Marc, ni saint Luc, ni les autres évangélistes ne s'étendaient sur les charmes délirants, sur les actives dépravations de la danseuse. Elle demeurait effacée, se perdait, mystérieuse et pâmée, dans le brouillard lointain des siècles, insaisissable pour les esprits précis et terre à terre, accessible seulement aux cervelles ébranlées, aiguisées, comme rendues visionnaires par la névrose rebelle aux peintres de la chair, à Rubens qui la déguisa en une bouchère des Flandres, incompréhensible pour tous les écrivains qui n'ont jamais pu rendre l'inquiétante exaltation de la danseuse la grandeur raffinée de l'assassine.
Dans l'oeuvre de Gustave Moreau, conçue en dehors de toutes les données du Testament, des Esseintes voyait enfin réalisée cette Salomé, surhumaine et étrange qu'il avait rêvée. Elle n'était plus seulement la baladine qui arrache à un vieillard, par une torsion corrompue de ses reins, un cri de désir et de rut; qui rompt l'énergie, fond la volonté d'un roi, par des remous de seins, des secousses de ventre, des frissons de cuisse; elle devenait, en quelque sorte, la déité symbolique de l'indestructible Luxure, la déesse de l'immortelle Hystérie, la Beauté maudite, élue entre toutes par la catalepsie qui lui raidit les chairs et lui durcit les muscles la Bête monstrueuse, indifférente, irresponsable, insensible, empoisonnant, de même que l'Hélène antique, tout ce qui l'approche, tout ce qui la voit, tout ce qu'elle touche. Ainsi comprise, elle appartenait aux théogonies de l'extrême Orient; elle ne relevait plus des traditions bibliques, ne pouvait même plus être assimilée à la vivante image de Babylone, à la royale Prostituée de l'Apocalypse, accoutrée, comme elle, de joyaux et de pourpre, fardée comme elle; car celle-là n'était pas jetée par une puissance fatidique, par une force suprême, dans les attirantes abjections de la débauche. Le peintre semblait d'ailleurs avoir voulu affirmer sa volonté de rester hors des siècles, de ne point préciser d'origine, de pays, d'époque, en mettant sa Salomé au milieu de cet extraordinaire palais, d'un style confus et grandiose, en la vêtant de somptueuses et chimériques robes, en la mitrant d'un incertain diadème en forme de tour phénicienne tel qu'en porte la Salammbô, en lui plaçant enfin dans la main le sceptre d'Isis, la fleur sacrée de l'Égypte et de l'Inde, le grand lotus.
Des Esseintes cherchait le sens de cet emblème. Avait-il cette signification phallique que lui prêtent les cultes primordiaux de l'Inde; annonçait-il au vieil Hérode, une oblation de virginité, un échange de sang, une plaie impure sollicitée, offerte sous la condition expresse d'un meurtre; ou représentait-il l'allégorie de la fécondité, le mythe hindou de la vie, une existence tenue entre des doigts de femme, arrachée, foulée par des mains palpitantes d'homme qu'une démence envahit, qu'une crise de la chair égare? Peut-être aussi qu'en armant son énigmatique déesse du lotus vénéré, le peintre avait songé à la danseuse, à la femme mortelle, au Vase souillé, cause de tous les péchés et de tous les crimes; peut-être s'était-il souvenu des rites de la vieille Égypte, des cérémonies sépulcrales de l'embaumement, alors que les chimistes et les prêtres étendent le cadavre de la morte sur un banc de jaspe, lui tirent avec des aiguilles courbes la cervelle par les fosses du nez, les entrailles par l'incision pratiquée dans son flanc gauche, puis avant de lui dorer les ongles et les dents, avant de l'enduire de bitumes et d'essences, lui insèrent, dans les parties sexuelles, pour les purifier, les chastes pétales de la divine fleur."
10:00 Publié dans Voiles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : joris-karl huysmans, gustave moreau, peinture, littérature, décadence, salomé
16/03/2005
Le Jean-Baptiste de Mallarmé
Le soleil que sa halte
Surnaturelle exalte
Aussitôt redescend
Incandescent
Je sens comme aux vertèbres
S'éployer des ténèbres
Toutes dans un frisson
À l'unisson
Et ma tête surgie
Solitaire vigie
Dans les vols triomphaux
De cette faux
Comme rupture franche
Plutôt refoule ou tranche
Les anciens désaccords
Avec le corps
Qu'elle de jeûnes ivre
S'opiniâtre à suivre
En quelque bond hagard
Son pur regard
Là-haut où la froidure
Éternelle n'endure
Que vous le surpassiez
Tous ô glaciers
Mais selon un baptème
Illuminée au même
Principe qui m'élut
Penche un salut.
13:55 Publié dans Voiles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Gustave Moreau, Stéphane Mallarmé, Jean-Baptiste, Poème
15/03/2005
Coupe franche
Un baiser est un tour délicieux conçu par la nature pour couper la parole quand les mots deviennent superflus
(Ingrid Bergman)
Tour sans doute tout autant délicieux que le roulement des hanches de la danseuse, ce légendaire instant où Salomé posa peut-être ses lèvres voluptueuses sur celles encore chaudes de cette tête séparée de tout corps est à la fois apogée et paradigme de tous les baisers du monde. Les mots sont superflus, le souffle éteint, la parole coupée comme le fut - d'un coup de sabre un seul - la tête de Jean-Baptiste.
Etrangement dans nos mythologies habituelles (bien avant même que Freud n'y révèle quelque concept de castration), les femmes qui coupent sont des plus malfaisantes. Tandis que la chaste et fidèle Pénélope file le jour, défile la nuit, tissant sans cesse pour son Ulysse une toile infinie d'amour et de patience, alors que l'Ariane aux beaux cheveux offre à celui qu'elle aime ce lien filé qui le sauve de quelque labyrinthique errance éternelle, la troisième Moire, l'immuable et inévitable Atropos, coupe sans détours aucuns le fil si ténu des vies humaines. Puisque filer, lier peut être acte infini, mais que l'on ne peut jamais recoller parfaitement ce qui a été tranché...
Peur intime du vide, du creux où l'on tombe, de ce noir maléfique d'une discontinuité parce que, lorsqu'il y a eu coupe, nous sommes contraints d'ouvrir toute la boite de Pandore de notre imaginaire, de nos fantasmes brimés et c'est la folie qui peut surgir sans qu'on le veuille de cette projection de raccords. Et même si l'explication usuelle varie, l'on comprend pourquoi le mot névrose serait issu de ce grec "temnein" qui signifie "couper". Car bien entendu, il convient aussi de se rappeler combien, alors que le symbole accorde, rapproche les êtres autour d'une même croyance partagée et faite legs, c'est le diable, le diabolique qui sépare, déchire et coupe. Or Salomé, femme fatale par excellence, n'est toutefois pas celle qui agit et coupe directement: cette tête qu'elle s'approprie, elle l'a demandée et c'est sa requête orale, les mots pourtant si simples qu'elle a prononcés qui sont assassins. Parce que les mots ne sont jamais innocents et que toute parole a ses conséquences et ses répercussions dans nos vies, dans nos chairs, et dans le devenir de ces mille et un "autres" qui nous entourent.
11:05 Publié dans Trame | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : coupe, salomé, danse, mythe
10/03/2005
D'une danse
Grâce à quelques citations qui traversent le temps de "l'à propos", voici le cadre de ces pages brièvement planté…
La danse de Salomé est une danse qui révèle tout en cachant, qui éblouit tout en forçant l'oeil à continuer de regarder. Tout comme le mythe immémorial qui a lui aussi ses facettes luisantes de beauté et ses atrocités. De ce qu'induisent ce jeu de voiles de la danseuse et ce jeu de masques de l'histoire, il sera ici question, si la Salomé d'aujourd'hui a le courage de ne pas se limiter à l'esthétique des brillantes surfaces ne cessant de l'envoûter, et si elle ose enfin, d'une gracieuse pirouette, plonger son esprit du côté du Mal.
Mais ne dévoilons pas tout dès le départ, et laissons pour le moment le rythme voluptueux des tambourins caresser le lissé de nos épaules, tandis que nos pieds posés avec science sur ce beau tapis tissé d'or glissent et se meuvent presque en silence afin que nos voiles viennent – ô quelle étrange douceur! – se faire souffle de vos sourires, pour mieux illuminer d'éclats violents vos pupilles fascinées.
11:20 Publié dans Trame | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : salomé, danse, mal, mythe
La Salomé d'Apollinaire
Pour que sourie encore une fois Jean-Baptiste
Sire je danserais mieux que les séraphins
Ma mère dites-moi pourquoi vous êtes triste
En robe de comtesse à côté du Dauphin
Mon cœur battait battait très fort à sa parole
Quand je dansais dans le fenouil en écoutant
Et je brodais des lys sur une banderole
Destinée à flotter au bout de son bâton
Et pour qui voulez-vous qu'à présent je la brode
Son bâton refleurit sur les bords du Jourdain
Et tous les lys quand vos soldats ô roi Hérode
L'emmenèrent se sont flétris dans mon jardin
Venez tous avec moi là-bas sous les quinconces
Ne pleure pas ô joli fou du roi
Prends cette tête au lieu de ta marotte et danse
N'y touchez pas son front ma mère est déjà froid
Sire marchez devant trabants marchez derrière
Nous creuserons un trou et l'y enterrerons
Nous planterons des fleurs et danserons en rond
Jusqu'à l'heure où j'aurai perdu ma jarretière
Le roi sa tabatière
L'infante son rosaire
Le curé son bréviaire
08:45 Publié dans Voiles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Guillaume Apollinaire, Jean-Baptiste, Salomé, Poème
09/03/2005
Premiers feux
Ebauche encore sans musique et sans vrai décor du doux roulement des hanches de Salomé, qui tourne et pirouette dans ses voiles, avec pour tout désir celui de faire tourner les têtes, en révélant parfois la blancheur de ses chairs…
Bienvenue chers spectateurs dans les pages en devenir de ce carnet de bal!
20:40 Publié dans Trame | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : salomé, danse, voiles