15/04/2005
La Salomé de Schwob
Via l'une des « Sœurs de Monelle » du chapitre II du Livre de Monelle de Marcel Schwob.
Le texte cité aujourd'hui ne parle pas directement de Salomé, mais termine cette brève nouvelle nommée « L'insensible » et évoque la fin du voyage de Morgane, froide princesse n'aimant personne partie à la recherche de l'hôtellerie de l'anneau où se trouverait, selon les prêtres de son pays, le véritable miroir...
" Et plus loin s'étend le désert de sable gris, où les plantes et les pierres sont pareilles au sable. Et à l'entrée de ce désert Morgane trouva l'hôtellerie de l'anneau.
Elle fit arrêter sa litière, et les muletiers déchargèrent les mules. C'était une maison ancienne, bâtie sans l'aide du ciment; et les blocs de pierre étaient blanchis par le soleil. Mais le maître de l'hôtellerie ne put lui parler du miroir: car il ne le connaissait point.
Et le soir, après qu'on eut mangé les galettes minces, le maître dit à Morgane que cette maison de l'anneau avait été dans les temps anciens la demeure d'une reine cruelle. Et elle fut punie de sa cruauté. Car elle avait ordonné de couper la tête à un homme religieux qui vivait solitaire au milieu de l'étendue de sable et faisait baigner les voyageurs avec de bonnes paroles dans l'eau du fleuve. Et aussitôt après cette reine périt, avec toute sa race. Et la chambre de la reine fut murée dans sa maison. Le maître de l'hôtellerie montra à Morgane la porte bouchée par des pierres.
Puis les voyageurs de l'hôtellerie se couchèrent dans les salles carrées et sous l'auvent. Mais vers le milieu de la nuit, Morgane éveilla ses muletiers et fit enfoncer la porte emmurée. Et elle entra par la brèche poussiéreuse, avec un flambeau de fer.
Et les gens de Morgane entendirent un cri, et suivirent la princesse. Elle était agenouillée au milieu de la chambre murée, devant un plat de cuivre battu rempli de sang, et elle le regardait ardemment. Et le maître de l'hôtellerie leva les bras: car le sang du bassin n'était pas tari dans la chambre close depuis que la reine cruelle y avait fait placer une tête coupée.
Personne ne sait ce que la princesse Morgane vit dans le miroir de sang. Mais sur la route du retour ses muletiers furent trouvés assassinés, un à un, chaque nuit, leur face grise tournée vers le ciel, après qu'ils avaient pénétré dans sa litière. Et on nomma cette princesse Morgane la Rouge, et elle fut une fameuse prostituée et une terrible égorgeuse d'hommes."
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14/04/2005
« Ici, elle était vraiment fille »
Tentant de passer outre les échos zolesques fort compréhensibles (après tout, les deux écrivains furent longtemps amis et le décadent en devenir Huysmans était originellement un presque disciple du trop célèbre réaliste) de cette petite phrase postée hier dans ce carnet, je me demande pourquoi l'image de la danseuse Salomé fut sans cesse remplacée au dix-neuvième siècle par celle de la catin. Il est fort probable que la scène de la danse des sept voiles soit un ajout tardif au texte biblique qui permit des gloses rendant coquetterie, artifice et jeux sensuels féminins de voiles responsables de la décollation d'un saint homme. Mais jamais on n'écrivit alors que Salomé était autre chose qu'une danseuse séductrice, qu'une charmeuse voilée, et il est difficile d'imaginer que la propre fille d'Hérodias (c'est-à-dire selon le texte à la fois la femme et la belle-sœur d'Hérode) ait été de celles faisant commerce de leurs charmes.
Mais pour que Salomé soit fatale, il faut qu'elle fasse plus que de demander la tête du prophète, et que dans la séduction de sa chorégraphie se mêlent le souffle sautillant et vivant d'Eros à l'ombre terrifiante et assassine de Thanatos. Prostituée parce que dangereuse, tentatrice, refusant d'offrir, de donner mais arrachant aux hommes sperme et argent, sans que de cet échange ne demeure aucune trace tangible ou visible. Putain parfaite celle qui, comme Salomé, va jusqu'à faire de la vie de l'homme le prix de l'acte charnel. Non pas la bourse ou la vie, mais la vie pour payer un baiser, qui sera post-mortem. Et lorsque qu'elle posera ultimement sa bouche sur des lèvres mortes, pulsions de vie et pulsions de mort s'accorderont enfin, et c'est pourquoi il ne peut y avoir de plus beau baiser que ce baiser mythique, qui sans doute jamais ne fut.
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13/04/2005
L'autre Salomé de Moreau
Suite de l'ekphrasis du chapitre V de A Rebours de Huysmans.
"Là, le palais d'Hérode s'élançait, ainsi qu'un Alhambra, sur de légères colonnes irisées de carreaux moresques, scellés comme par un béton d'argent, comme par un ciment d'or; des arabesques partaient de losanges en lazuli, filaient tout le long des coupoles où, sur des marqueteries de nacre, rampaient des lueurs d'arc-en-ciel, des feux de prisme. Le meurtre était accompli; maintenant le bourreau se tenait impassible, les mains sur le pommeau de sa longue épée, tachée de sang. Le chef décapité du saint s'était élevé du plat posé sur les dalles et il regardait, livide, la bouche décolorée, ouverte, le cou cramoisi, dégouttant de larmes. Une mosaïque cernait la figure d'où s'échappait une auréole s'irradiant en traits de lumière sous les portiques, éclairant l'affreuse ascension de la tête, allumant le globe vitreux des prunelles, attachées, en quelque sorte crispées sur la danseuse. D'un geste d'épouvante, Salomé repousse la terrifiante vision qui la cloue, immobile, sur les pointes; ses yeux se dilatent, sa main étreint convulsivement sa gorge. Elle est presque nue; dans l'ardeur de la danse, les voiles se sont défaits, les brocarts ont croulé; elle n'est plus vêtue que de matières orfévries et de minéraux lucides; un gorgerin lui serre de même qu'un corselet la taille, et, ainsi qu'une agrafe superbe, un merveilleux joyau darde des éclairs dans la rainure de ses deux seins; plus bas, aux hanches, une ceinture l'entoure, cache le haut de ses cuisses que bat une gigantesque pendeloque où coule une rivière d'escarboucles et d'émeraudes; enfin, sur le corps resté nu, entre le gorgerin et la ceinture, le ventre bombe, creusé d'un nombril dont le trou semble un cachet gravé d'onyx, aux tons laiteux, aux teintes de rose d'ongle. Sous les traits ardents échappés de la tête du Précurseur, toutes les facettes des joailleries s'embrasent; les pierres s'animent, dessinent le corps de la femme en traits incandescents; la piquent au cou, aux jambes, aux bras, de points de feu, vermeils comme des charbons, violets comme des jets de gaz, bleus comme des flammes d'alcool, blancs comme des rayons d'astre. L'horrible tête flamboie, saignant toujours, mettant des caillots de pourpre sombre, aux pointes de la barbe et des cheveux. Visible pour la Salomé seule, elle n'étreint pas de son morne regard, l'Hérodias qui rêve à ses haines enfin abouties, le Tétrarque, qui, penché un peu en avant, les mains sur les genoux, halète encore, affolé par cette nudité de femme imprégnée de senteurs fauves, roulée dans les baumes, fumée dans les encens et dans les myrrhes.
Tel que le vieux roi, des Esseintes demeurait écrasé, anéanti, pris de vertige, devant cette danseuse, moins majestueuse, moins hautaine, mais plus troublante que la Salomé du tableau à l'huile. Dans l'insensible et impitoyable statue, dans l'innocente et dangereuse idole, l'érotisme, la terreur de l'être humain s'étaient fait jour; le grand lotus avait disparu, la déesse s'était évanouie; un effroyable cauchemar étranglait maintenant l'histrionne, extasiée par le tournoiement de la danse, la courtisane, pétrifiée, hypnotisée par l'épouvante. Ici, elle était vraiment fille; elle obéissait à son tempérament de femme ardente et cruelle; elle vivait, plus raffinée et plus sauvage, plus exécrable et plus exquise; elle réveillait plus énergiquement les sens en léthargie de l'homme, ensorcelait, domptait plus sûrement ses volontés, avec son charme de grande fleur vénérienne, poussée dans des couches sacrilèges, élevée dans des serres impies. Comme le disait des Esseintes, jamais, à aucune époque, l'aquarelle n'avait pu atteindre cet éclat de coloris; jamais la pauvreté des couleurs chimiques n'avait ainsi fait jaillir sur le papier des coruscations semblables de pierres, des lueurs pareilles de vitraux frappés de rais de soleil, des fastes aussi fabuleux, aussi aveuglants de tissus et de chairs. Et, perdu dans sa contemplation, il scrutait les origines de ce grand artiste, de ce païen mystique, de cet illuminé qui pouvait s'abstraire assez du monde pour voir, en plein Paris, resplendir les cruelles visions, les féeriques apothéoses des autres âges.
Sa filiation, des Esseintes la suivait à peine; çà et là, de vagues souvenirs de Mantegna et de Jacopo de Barbarj; çà et là, de confuses hantises du Vinci et des fièvres de couleurs à la Delacroix; mais l'influence de ces maîtres restait, en somme, imperceptible: la vérité était que Gustave Moreau ne dérivait de personne. Sans ascendant véritable, sans descendants possibles, il demeurait, dans l'art contemporain, unique. Remontant aux sources ethnographiques, aux origines des mythologies dont il comparait et démêlait les sanglantes énigmes; réunissant, fondant en une seule les légendes issues de l'Extrême Orient et métamorphosées par les croyances des autres peuples, il justifiait ainsi ses fusions architectoniques, ses amalgames luxueux et inattendus d'étoffes, ses hiératiques et sinistres allégories aiguisées par les inquiètes perspicuités d'un nervosisme tout moderne; et il restait à jamais douloureux, hanté par les symboles des perversités et des amours surhumaines, des stupres divins consommés sans abandons et sans espoirs. Il y avait dans ses oeuvres désespérées et érudites un enchantement singulier, une incantation vous remuant jusqu'au fond des entrailles, comme celle de certains poèmes de Baudelaire, et l'on demeurait ébahi, songeur, déconcerté, par cet art qui franchissait les limites de la peinture, empruntait à l'art d'écrire ses plus subtiles évocations, à l'art du Limosin ses plus merveilleux éclats, à l'art du lapidaire et du graveur ses finesses les plus exquises. Ces deux images de la Salomé, pour lesquelles l'admiration de des Esseintes était sans borne, vivaient, sous ses yeux, pendues aux murailles de son cabinet de travail, sur des panneaux réservés entre les rayons des livres."
08:15 Publié dans Voiles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Joris-Karl Huysmans, Gustave Moreau, Danse, Peinture, Littérature, Salomé, Décadence
08/04/2005
La Salomé de Milosz
Extrait du recueil Femmes et Fantômes
— Jette cet or de deuil où tes lèvres touchèrent,
Dans le miroir du sang, le reflet de leur fleur
Mélodieuse et douce à blesser !
La vie d'un sage ne vaut pas, ma Salomé,
Ta danse d’Orient sauvage comme la chair,
Et ta bouche couleur de meurtre, et tes seins couleur de désert !
— Puis, secouant ta chevelure, dont les lumières
S’allongent vers mon coeur avec leurs têtes de lys rouges,
— Ta chevelure où la colère
Du soleil et des perles
Allume des lueurs d’épées —
Fais que ton rire ensanglanté sonne un glas de mépris,
Ô beauté de la Chair, toi qui marches drapée
Dans l’incendie aveugle et froid des pierreries !
Ton oeuvre est grande et je t’admire,
Car les yeux du Prophète, lacs de sang et de nuit
Où le fantôme de la tristesse se mire,
Comme l’automne en la rosée des fleurs gâtées
Et le déclin des jours dans les flaques de pluie,
Connaîtront, grâce à toi, la volupté d’Oubli !
— Ah! tournant vers ce front sinistre, que saccagent
Les torches mal éteintes de l’hallucination,
Tes yeux ensoleillés comme les fleurs sauvages
Et les flots de la mer poignardés de rayons,
Tu peux battre des mains, et le faire crier bien fort
Ton rire asiatique amoureux de la mort !
Car, les pensers d’orgueil et les pudeurs de vanité,
Qui tombèrent pour ta gaîté
Avec un bruit d’idole creuse et un râle de bijoux faux,
Ne valent, ni tes bras luisants et recourbés
Comme les glaives et les faux,
Ni tes cheveux amers et durs comme l’herbe brûlée,
Salomé, Salomé,
Glorieuse qui sus chasser
Le sarcoramphe noir Ennui du coeur d’Hérode,
Et qui fis en dansant l’aumône de la mort !
La sagesse mûrit pour la faim de la Terre,
Et toi tu vis ! et tu respires, ô Beauté,
Et ta chair réelle a des brises de santal
A la place où ta voix s’effeuille en accords rares,
Et le Monde s’abreuve à tes veines barbares
Où la pourpre charrie un délice brutal !
— Et nous qui connaissons la certitude unique,
Salomé des Instincts, nous te donnons nos coeurs
Aux battements plus forts que, les soirs de panique,
L’appel désespéré des airains de douleur,
Et nous voulons qu’au vent soulevé par ta robe
Et par ta chevelure éclaboussée de fleurs
Se déchire enfin la fumée
De l’Idéal et des Labeurs,
O Salomé de nos hontes, Salomé !
11:30 Publié dans Voiles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Czeslaw Milosz, Salomé, Littérature, Jean-Baptiste, Poème
05/04/2005
La Salomé de Laforgue
Chapitre IV de Salomé, extrait du recueil les Moralités légendaires
" Accoudée au parapet de l'observatoire, Salomé, fuyeuse de fêtes nationales, écoutait la mer familière des belles nuits. Une de ces nuits étoilées au complet ! Des éternités de zéniths de brasiers ! Oh ! que de quoi s'égarer, par exemple, pour un express d'exil ! etc. Salomé, soeur de lait de la Voie Lactée, ne sortait guère d'elle-même qu'aux étoiles. D'après la photographie en couleur (grâce au spectre) des étoiles dites jaunes, rouges, blanches, de seizième grandeur, elle s'était fait tailler de précis diamants dont elle semait sa chevelure et toute sa beauté, et sa toilette des Nuits (mousseline violet-gros-deuil à pois d'or), pour conférer sur les terrasses, en tête à tête, avec ces vingt-quatre millions d'astres, comme un souverain met, ayant à recevoir ses pairs ou satellites, les ordres de leurs régions. Salomé tenait en disgrâce les vulgaires cabochons de première, de deuxième grandeur, etc. Jusqu'à la quinzième grandeur, les astres n'étaient pas de son monde. D'ailleurs, les seules nébuleuses-matrices faisaient sa passion ; non les nébuleuses formées, aux disques déjà planétiformes, mais les amorphes, les perforées, les à tentacules. - Et celui d'Orion, ce pâté gazeux aux rayons maladifs, restait toujours le fleuron benjamin de sa clignotante couronne. Ah ! chères compagnes des prairies stellaires, Salomé n'était plus la petite Salomé ! et cette nuit allait inaugurer une ère nouvelle de relations et d'étiquette ! D'abord, exorcisée de sa virginité de tissus, elle se sentait maintenant, vis-à-vis de ces nébuleuses-matrices, fécondée tout comme elles, d'évolutions giratoires. Ensuite, ce fatal sacrifice au culte (heureuse, encore, de s'en tirer à compte si discret !) l'avait obligée, pour faire disparaître l'initiateur, à l'acte (grave, on a beau dire) nommé homicide. Enfin, pour gagner ce silence à mort de l'Initiateur, avait dû servir, encore que coupé d'eau, à ces gens contingents, l'élixir distillé dans l'angoisse de cent nuits de la trempe de celle-ci. Allons, c'était sa vie ; elle était une spécialité, une petite spécialité.
Or là, sur un coussin, parmi les débris de la lyre d'ébène, la tête de Jean (comme jadis celle d'Orphée) brillait, enduite de phosphore, lavée, fardée, frisée, faisant rictus à ces vingt quatre millions d'astres. Aussitôt l'objet livré, Salomé, par acquit de conscience scientifique, avait essayé ces fameuses expériences d'après décollation, dont on parle tant ; elle s'y attendait, les passes électriques ne tirèrent de la face que grimaces sans conséquence. Elle avait son idée, maintenant. Mais, dire qu'elle ne baissait plus les yeux devant Orion ! Elle se raidit à fixer la mystique nébuleuse de ses pubertés, durant dix minutes. Que de nuits, que de nuits d'avenir, à qui aura le dernier mot !... Et ces orphéons, ces pétards, là-bas, dans la ville ! Enfin, Salomé se secoua en personne raisonnable, remontant son fichu ; puis, dénicha sur elle l'opale trouble et sablée d'or gris d'Orion, la déposa dans la bouche de Jean, comme une hostie, baisa cette bouche miséricordieusement et hermétiquement, et scella cette bouche de son cachet corrosif (procédé instantané). Elle attendit, une minute !... rien par la nuit ne faisait signe !... avec un «allons !» mutin et agacé, elle empoigna la géniale caboche en ses petites mains de femme... Comme elle voulait que la tête tombât en plein dans la mer sans se fracasser d'abord aux rochers des assises, elle prit quelque élan. L'épave décrivit une phosphorescente parabole suffisante. Oh ! la noble parabole ! - Mais la malheureuse petite astronome avait terriblement mal calculé son écart ! et, chavirant par-dessus le parapet, avec un cri enfin humain ! elle alla, dégringolant de roc en roc, râler, dans une pittoresque anfractuosité que lavait le flot, loin des rumeurs de la fête nationale, lacérée à nu, ses diamants sidéraux lui entrant dans les chairs, le crâne défoncé, paralysée de vertige, en somme mise à mal, agoniser une heure durant. Et elle n'eut, pas même, le viatique d'apercevoir la phosphorescente étoile flottante de la tête de Jean, sur la mer... Quant aux lointains du ciel, ils étaient loin... Ainsi connut le trépas, Salomé, du moins celle des Iles Blanches Esotériques ; moins victime des hasards illettrés que d'avoir voulu vivre dans le factice et non à la bonne franquette, à l'instar de chacun de nous. "
09:20 Publié dans Voiles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Jules Laforgue, Littérature, Salomé
31/03/2005
La Salomé de Banville
Douzième sonnet du recueil "Les Princesses"
"Car elle était vraiment princesse: c'était la
reine de Judée, la femme d'Hérode, celle qui a
demandé la tête de Jean-Baptiste."
Henri Heine, Atta Troll.
Ses yeux sont transparents comme l'eau du Jourdain.
Elle a de lourds colliers et des pendants d'oreilles;
Elle est plus douce à voir que le raisin des treilles,
Et la rose des bois a peur de son dédain.
Elle rit et folâtre avec un air badin,
Laissant de sa jeunesse éclater les merveilles.
Sa lèvre est écarlate, et ses dents sont pareilles
Pour la blancheur aux lys orgueilleux du jardin.
Voyez-la, voyez-la venir, la jeune reine!
Un petit page noir tient sa robe qui traîne
En flots voluptueux le long du corridor.
Sur ses doigts le rubis, le saphir, l'améthyste
Font resplendir leurs feux charmants: dans un plat d'or
Elle porte le chef sanglant de Jean-Baptiste.
09:15 Publié dans Voiles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Henri Heine, Théodore de Banville, Salomé, Jean-Baptiste, Littérature, Poème
28/03/2005
Interlude en pseudo péplum
10:55 Publié dans Trame, Voiles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : thomas duzer, rita hayworth, anaximandrake, salomé, cinéma, voiles
23/03/2005
La Salomé de Flaubert
Scène de la danse du chapitre III de l'Hérodias
"Mais il arriva du fond de la salle un bourdonnement de surprise et d'admiration. Une jeune fille venait d'entrer.
Sous un voile bleuâtre lui cachant la poitrine et la tête, on distinguait les arcs de ses yeux, les calcédoines de ses oreilles, la blancheur de sa peau. Un carré de soie gorge-de-pigeon, en couvrant les épaules, tenait aux reins par une ceinture d'orfèvrerie. Ses caleçons noirs étaient semés de mandragores, et d'une manière indolente elle faisait claquer de petites pantoufles en duvet de colibri. Sur le haut de l'estrade, elle retira son voile. C'était Hérodias, comme autrefois dans sa jeunesse. Puis elle se mit à danser. Ses pieds passaient l'un devant l'autre, au rythme de la flûte et d'une paire de crotales. Ses bras arrondis appelaient quelqu'un, qui s'enfuyait toujours. Elle le poursuivait, plus légère qu'un papillon, comme une Psyché curieuse, comme une âme vagabonde et semblait prête à s'envoler.
Les sons funèbres de la gingras remplacèrent les crotales. L'accablement avait suivi l'espoir. Ses attitudes exprimaient des soupirs, et toute sa personne une telle langueur qu'on ne savait pas si elle pleurait un dieu, ou se mourait dans sa caresse. Les paupières entrecloses, elle se tordait la taille, balançait son ventre avec des ondulations de houle, faisait trembler ses deux seins, et son visage demeurait immobile, et ses pieds n'arrêtaient pas.
[…] Puis ce fut l'emportement de l'amour qui veut être assouvi. Elle dansa comme les prêtresses des Indes, comme les Nubiennes des cataractes, comme les Bacchantes de Lydie. Elle se renversait de tous les côtés, pareille à une fleur que la tempête agite. Les brillants de ses oreilles sautaient, l'étoffe de son dos chatoyait ; de ses bras, de ses pieds, de ses vêtements jaillissaient d'invisibles étincelles qui enflammaient les hommes. Une harpe chanta ; la multitude y répondit par des acclamations. Sans fléchir ses genoux en écartant les jambes, elle se courba si bien que son menton frôlait le plancher ; et les nomades habitués à l'abstinence, les soldats de Rome experts en débauches, les avares publicains, les vieux prêtres aigris par les disputes, tous, dilatant leurs narines, palpitaient de convoitise.
Ensuite elle tourna autour de la table d'Antipas, frénétiquement, comme le rhombe des sorcières ; et d'une voix que des sanglots de volupté entrecoupaient, il lui disait - « Viens ! viens ! » - Elle tournait toujours ; les tympanons sonnaient à éclater, la foule hurlait. Mais le Tétrarque criait plus fort « Viens ! viens ! Tu auras Capharnaüm ! la plaine de Tibérias ! mes citadelles ! la moitié de mon royaume ! »
Elle se jeta sur les mains, les talons en l'air, parcourut ainsi l'estrade comme un grand scarabée ; et s'arrêta brusquement. Sa nuque et ses vertèbres faisaient un angle droit. Les fourreaux de couleur qui enveloppaient ses jambes, lui passant par-dessus l'épaule, comme des arcs-en-ciel, accompagnaient sa figure, à une coudée du sol. Ses lèvres étaient peintes, ses sourcils très noirs, ses yeux presque terribles, et des gouttelettes à son front semblaient une vapeur sur du marbre blanc.
Elle ne parlait pas. Ils se regardaient.
Un claquement de doigts se fit dans la tribune. Elle y monta, reparut ; et, en zézayant un peu, prononça ces mots, d'un air enfantin.
- « Je veux que tu me donnes dans un plat... la tête... »
Elle avait oublié le nom, mais reprit en souriant : « La tête de Iaokanann ! » "
09:55 Publié dans Voiles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gustave flaubert, littérature, salomé, danse, voiles
21/03/2005
Une des Salomé de Moreau
Réflexions suivant l'ekphrasis du chapitre V de A Rebours de Huysmans.
"Ce type de la Salomé si hantant pour les artistes et pour les poètes, obsédait, depuis des années, des Esseintes. Combien de fois avait-il lu dans la vieille bible de Pierre Variquet, traduite par les docteurs en théologie de l'Université de Louvain, l'évangile de saint Mathieu qui raconte en de naïves et brèves phrases, la décollation du Précurseur; combien de fois avait-il rêvé, entre ces lignes:
Au jour du festin de la Nativité d'Hérode, la fille d'Hérodias dansa au milieu et plut à Hérode.
Dont lui promit, avec serment, de lui donner tout ce qu'elle lui demanderait.
Elle donc, induite par sa mère, dit: Donne-moi, en un plat, la tête de Jean-Baptiste.
Et le roi fut marri, mais à cause du serment et de ceux qui étaient assis à table avec lui, il commanda qu'elle lui fût baillée.
Et envoya décapiter Jean, en la prison.
Et fut la tête d'icelui apportée dans un plat et donnée à la fille et elle la présenta à sa mère.
Mais ni saint Mathieu, ni saint Marc, ni saint Luc, ni les autres évangélistes ne s'étendaient sur les charmes délirants, sur les actives dépravations de la danseuse. Elle demeurait effacée, se perdait, mystérieuse et pâmée, dans le brouillard lointain des siècles, insaisissable pour les esprits précis et terre à terre, accessible seulement aux cervelles ébranlées, aiguisées, comme rendues visionnaires par la névrose rebelle aux peintres de la chair, à Rubens qui la déguisa en une bouchère des Flandres, incompréhensible pour tous les écrivains qui n'ont jamais pu rendre l'inquiétante exaltation de la danseuse la grandeur raffinée de l'assassine.
Dans l'oeuvre de Gustave Moreau, conçue en dehors de toutes les données du Testament, des Esseintes voyait enfin réalisée cette Salomé, surhumaine et étrange qu'il avait rêvée. Elle n'était plus seulement la baladine qui arrache à un vieillard, par une torsion corrompue de ses reins, un cri de désir et de rut; qui rompt l'énergie, fond la volonté d'un roi, par des remous de seins, des secousses de ventre, des frissons de cuisse; elle devenait, en quelque sorte, la déité symbolique de l'indestructible Luxure, la déesse de l'immortelle Hystérie, la Beauté maudite, élue entre toutes par la catalepsie qui lui raidit les chairs et lui durcit les muscles la Bête monstrueuse, indifférente, irresponsable, insensible, empoisonnant, de même que l'Hélène antique, tout ce qui l'approche, tout ce qui la voit, tout ce qu'elle touche. Ainsi comprise, elle appartenait aux théogonies de l'extrême Orient; elle ne relevait plus des traditions bibliques, ne pouvait même plus être assimilée à la vivante image de Babylone, à la royale Prostituée de l'Apocalypse, accoutrée, comme elle, de joyaux et de pourpre, fardée comme elle; car celle-là n'était pas jetée par une puissance fatidique, par une force suprême, dans les attirantes abjections de la débauche. Le peintre semblait d'ailleurs avoir voulu affirmer sa volonté de rester hors des siècles, de ne point préciser d'origine, de pays, d'époque, en mettant sa Salomé au milieu de cet extraordinaire palais, d'un style confus et grandiose, en la vêtant de somptueuses et chimériques robes, en la mitrant d'un incertain diadème en forme de tour phénicienne tel qu'en porte la Salammbô, en lui plaçant enfin dans la main le sceptre d'Isis, la fleur sacrée de l'Égypte et de l'Inde, le grand lotus.
Des Esseintes cherchait le sens de cet emblème. Avait-il cette signification phallique que lui prêtent les cultes primordiaux de l'Inde; annonçait-il au vieil Hérode, une oblation de virginité, un échange de sang, une plaie impure sollicitée, offerte sous la condition expresse d'un meurtre; ou représentait-il l'allégorie de la fécondité, le mythe hindou de la vie, une existence tenue entre des doigts de femme, arrachée, foulée par des mains palpitantes d'homme qu'une démence envahit, qu'une crise de la chair égare? Peut-être aussi qu'en armant son énigmatique déesse du lotus vénéré, le peintre avait songé à la danseuse, à la femme mortelle, au Vase souillé, cause de tous les péchés et de tous les crimes; peut-être s'était-il souvenu des rites de la vieille Égypte, des cérémonies sépulcrales de l'embaumement, alors que les chimistes et les prêtres étendent le cadavre de la morte sur un banc de jaspe, lui tirent avec des aiguilles courbes la cervelle par les fosses du nez, les entrailles par l'incision pratiquée dans son flanc gauche, puis avant de lui dorer les ongles et les dents, avant de l'enduire de bitumes et d'essences, lui insèrent, dans les parties sexuelles, pour les purifier, les chastes pétales de la divine fleur."
10:00 Publié dans Voiles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : joris-karl huysmans, gustave moreau, peinture, littérature, décadence, salomé
15/03/2005
Coupe franche
Un baiser est un tour délicieux conçu par la nature pour couper la parole quand les mots deviennent superflus
(Ingrid Bergman)
Tour sans doute tout autant délicieux que le roulement des hanches de la danseuse, ce légendaire instant où Salomé posa peut-être ses lèvres voluptueuses sur celles encore chaudes de cette tête séparée de tout corps est à la fois apogée et paradigme de tous les baisers du monde. Les mots sont superflus, le souffle éteint, la parole coupée comme le fut - d'un coup de sabre un seul - la tête de Jean-Baptiste.
Etrangement dans nos mythologies habituelles (bien avant même que Freud n'y révèle quelque concept de castration), les femmes qui coupent sont des plus malfaisantes. Tandis que la chaste et fidèle Pénélope file le jour, défile la nuit, tissant sans cesse pour son Ulysse une toile infinie d'amour et de patience, alors que l'Ariane aux beaux cheveux offre à celui qu'elle aime ce lien filé qui le sauve de quelque labyrinthique errance éternelle, la troisième Moire, l'immuable et inévitable Atropos, coupe sans détours aucuns le fil si ténu des vies humaines. Puisque filer, lier peut être acte infini, mais que l'on ne peut jamais recoller parfaitement ce qui a été tranché...
Peur intime du vide, du creux où l'on tombe, de ce noir maléfique d'une discontinuité parce que, lorsqu'il y a eu coupe, nous sommes contraints d'ouvrir toute la boite de Pandore de notre imaginaire, de nos fantasmes brimés et c'est la folie qui peut surgir sans qu'on le veuille de cette projection de raccords. Et même si l'explication usuelle varie, l'on comprend pourquoi le mot névrose serait issu de ce grec "temnein" qui signifie "couper". Car bien entendu, il convient aussi de se rappeler combien, alors que le symbole accorde, rapproche les êtres autour d'une même croyance partagée et faite legs, c'est le diable, le diabolique qui sépare, déchire et coupe. Or Salomé, femme fatale par excellence, n'est toutefois pas celle qui agit et coupe directement: cette tête qu'elle s'approprie, elle l'a demandée et c'est sa requête orale, les mots pourtant si simples qu'elle a prononcés qui sont assassins. Parce que les mots ne sont jamais innocents et que toute parole a ses conséquences et ses répercussions dans nos vies, dans nos chairs, et dans le devenir de ces mille et un "autres" qui nous entourent.
11:05 Publié dans Trame | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : coupe, salomé, danse, mythe